Streaming : Claude, des débuts obsédants à l’opéra pour Thierry Escaich

Xl_claude_-_op_ra_de_lyon__c__stofleth © (c) Stofleth

Alors que le Théâtre des Champs-Élysées s’apprête à capter à huis-clos la création mondiale de Point d’orgue de Thierry Escaich – en coproduction avec l’Opéra de Dijon, l’Opéra national de Bordeaux, l’Opéra de Saint-Étienne et l’Opéra de Tours pour un diptyque avec La Voix humaine de Poulenc –, il nous a semblé opportun de réapprivoiser Claude, son premier opéra, commandé par l’Opéra national de Lyon.

Nous y suivons le destin de Claude Gueux, héros éponyme d’une nouvelle de Victor Hugo inspirée d’un fait divers du XIXe siècle. Le personnage est condamné à la guillotine pour avoir tué le Directeur de sa prison, qui l’a sciemment éloigné de son seul ami codétenu, Albin. Celui-ci a fait la connaissance de Claude en lui apportant du pain comme marque de reconnaissance pour l’avoir défendu auprès des autres prisonniers pendant une séance de travail pénitentiaire. Et si Claude est en prison, c’est parce qu’il s’est révolté contre son remplacement à l’usine par des machines. Le livret de Robert Badinter, ancien Ministre de la Justice sous la présidence de François Mitterrand, démontre la logique implacable d’une justice injuste et vampirique, et assaisonne le protagoniste à la couleur locale du canut qui a voulu défendre ses droits sur les barricades. Si les élans hugoliens contre la peine de mort restent intacts dans le texte, les lignes souffrent peut-être de leur désuétude un peu naïve, comme si elles avaient juste été arrachées de la forme littéraire pour être greffées à l’opéra.

Ce discours direct de roman permet cependant de détacher la prosodie de l’écriture orchestrale. Thierry Escaich laisse une grande autonomie aux chanteurs, surplombant une entropie musicale haletante, dont se dégage pourtant une profonde liberté de jeu. L’instrumentation, particulièrement riche, est d’ailleurs défendue avec verve par Jérémie Rhorer et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon. L’orgue, l’accordéon, le piano et le célesta sont autant de révélateurs psychologiques qui élargissent ou referment les nœuds de l’intrigue. Le compositeur mêle des couleurs de boue séchée, de mouvements industriels et de confrontations râpeuses (les trois face-à-face entre Claude et le Directeur sont illustrées par la passacaille, la forme du recommencement infini), qui convergent en un passionnant désordre. Tout est dit dans sa musique sur les duels ou la dualité, sur la vie en communauté confinée ou sur les tourments tus !

Dans les imposants décors de Pierre-André Weitz, Olivier Py sait diablement bien mettre en avant les individus un à un au sein de la foule. Si la relation homoérotique de Claude et Albin prend un peu trop au pied de la lettre leur « amour », si la surexpression de la violence tend à paraphraser la musique, le metteur en scène n’oublie jamais le cap de ses personnages. Il défend corps et âme la crédibilité du cheminement de Claude, suggère sans emphase comment le prisonnier parvient à se faire une place pour ses idées. Le livret, la musique et la représentation se trouvent ainsi à un carrefour de langages terriblement sincères, quoique parfois cannibales les uns envers les autres.

Jean-Sébastien Bou est épatant dans le rôle-titre. À la merci de la terreur, il conjugue faiblesse physique et intensité vocale pour créer une matière palpable du tourment. Le Directeur grommeleur de Jean-Philippe Lafont est peu soigné, mais c’est le contre-ténor Rodrigo Ferreira (Albin scolaire et quelque peu flétri) qui est le moins à son avantage dans cette production. Nous trouvons satisfaction auprès des (très) seconds rôles, via la prosodie acérée de Laurent Alvaro, les superbes phrasés de Rémy Mathieu, les aspects écrus de Philip Sheffield, et l’orientation claire de David Sanchez Serra et Didier Roussel. Du pain et des jeux, c’est ce que demandent les Chœurs et la Maîtrise de l’Opéra de Lyon, sidérants de réalisme.

Au sujet du procès de Claude, « Tout n’avait été que respect des règles », selon un des deux Personnages de l’épilogue ; nous ne pouvons pas en dire autant de cet opéra, qui déroule le tapis rouge à l’inventivité de Thierry Escaich et varie les angles, comme dans un débat pétri de voix discordantes.

Thibault Vicq
(medici.tv, février 2021, captation d’avril 2013)

Claude, de Thierry Escaich, disponible sur medici.tv

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