Maxime Pascal et Le Balcon sauvent La Petite Boutique des horreurs à l’Opéra Comique

Xl_8_la_petite_boutique_des_horreurs_dr_s._brion © Stefan Brion

Quand certaines maisons d’opéra optent pour La Flûte enchantée, Hansel et Gretel, Offenbach ou autres opérettes pour les Fêtes, l’Opéra-Comique – désormais avec un trait d’union – innove, avec une désinvolture bienvenue, en proposant au public une plante avide de chair humaine dans la comédie musicale La Petite Boutique des horreurs (en coproduction avec l’Opéra de Dijon) ! Seymour et Audrey (dont il est amoureux) travaillent pour le fleuriste en faillite Mushnik, dans le quartier à l’abandon politique d’une ville des États-Unis. La découverte d’une nouvelle espèce végétale par Seymour attire comme par magie les clients au magasin. Mais la plante a toujours faim. Ce qui rend bientôt la logistique difficile pour le jeune vendeur emprunté, devenu du jour au lendemain la coqueluche des médias…

La Petite Boutique des horreurs - Opéra-Comique (c) Stefan Brion

Little Shop of Horrors est créé Off-Off Broadway en 1982 à l’initiative du parolier et metteur en scène Howard Ashman, avec le compositeur Alan Menken, vingt-deux ans après le film (non-chanté) de Roger Corman qui aura servi de matériau d’origine, et quatre ans avant celui de Frank Oz. Le succès de l’œuvre ne se démentira pas, par des migrations à Los Angeles et à Londres, puis en Europe, en Israël, en Afrique du Sud et au Japon dès 1983, année de l’adaptation française d’Alain Marcel (celle présentée à Favart). Le tandem de plume sera remarqué par les studios Disney, qui lui confieront les numéros musicaux de La Petite Sirène, de La Belle et la Bête et d’Aladdin.

Comme nous le confiait Maxime Pascal – aux manettes du projet – en juin dernier dans une riche interview, le « style Disney symphonique » se trouve sous forme d’échantillonnage dans La Petite Boutique. Au sein des facétieux arrangements d’Arthur Lavandier pour les instrumentistes du Balcon, le rock’n’roll, la pop 60s pastichée et le rhythm and blues d’Alan Menken s’ornent de tapisseries harmoniques en relief, tandis que les dissonances brodées pimentent les lignes et le beat se savoure encore plus chaloupé. Le chef s’amuse comme un petit fou dans ce répertoire. Il trouve le tempo plus vrai que vrai pour transformer la musique en outil dramaturgique, les détails d’accompagnement et le son des tutti fusionnent en une lame acérée, prête à trancher, aussi bien avec les cordes et les vents que le big band. Le son d’univers BD feel good, en onomatopées et en couleurs acidulées, est également dû à des instrumentistes touche-à-tout – il y a un mois, l’exaltante clarinettiste Iris Zerdoud participait à Freitag aus Licht de Stockhausen, et joue le premier rôle dans la chanson de Mushnik inspirée d’airs juifs – qui considèrent les œuvres sous l’angle de la représentation organique et non de la partition seule. La sonorisation laisse ce soir en revanche trop l’avantage aux percussions et à la guitare basse, rendant les voix parfois peu audibles.

La Petite Boutique des horreurs - Opéra-Comique (c) Stefan Brion

Marc Mauillon fait usage de son timbre aérien et de sa diction scrupuleuse pour entrer dans la peau du timoré Seymour. Il a parfois du mal à assumer un texte parlé trop familier, mais se donne sans compter pour injecter un esprit « au-delà de l’opérette ». Judith Fa peine davantage à trouver la naïveté juste d’Audrey, qu’elle emmène vers la lourdeur de la nigaude, que le chant ne met pas toujours à l’avantage. Lionel Peintre (Mushnik) est bien meilleur acteur, mais c’est à la voix que le bât blesse, car à force de vouloir trop jouer il en perd les notes. Damien Bigourdan fait preuve d’un meilleur flow en Elvis dentiste, violent et écervelé, accro au protoxyde d’azote. Sofia Mountassir, Laura Nanou et Anissa Brahmi font corps avec le groove des trois Grâces, et Daniel Njo lobé a la voix de crooner parfaite pour le sarcasme et le cynisme de la plante carnivore.

Et puis il y a la mise en scène paresseuse et sans propos de Valérie Lesort et Christian Hecq, sorte de worst of de Michel Fau et de Jérôme Deschamps noyé dans de splendides décors et créations marionnettes (la Plante est un exploit d’expressivité). On peut rire de tout, voire de ce théâtre périmé de grand-papa, mais continuer à vouloir rendre poilante la violence d’un homme envers sa copine est très contestable en 2022. Savent-ils au moins qu’un certain mouvement #MeToo a commencé il y a cinq ans ? Si le personnage en question est la première victime de la Plante, c’est plus pour satisfaire Seymour que pour le symbole. L’acte II est un désert de théâtre, de surcroît décevant dans ses effets gore (au contraire de leur Mouche un peu plus aventureuse, qu’ils avaient montée au théâtre). Les chorégraphies n'ont quant à elles que pour seule utilité d’amortir la fabrication des costumes. Parce que trouver dans cette lecture un point de vue sur le mythe de Faust, sur les droits civiques, sur la vie dans les ghettos ou tout simplement sur les personnages, reste mission impossible.

Thibault Vicq
(Paris, 11 décembre 2022)

La Petite Boutique des horreurs (Little Shop of Horrors), d’Alan Menken (musique) et Howard Ashman (lyrics) :
- à l’Opéra Comique (Paris 2e) jusqu’au 25 décembre 2022
- à l’Opéra de Dijon (Grand Théâtre) les 5 et 6 avril 2023

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