Les Sept Péchés capitaux ouvrent en ligne l’Opera Forward Festival d’Amsterdam

Xl_les_sept_p_ch_s_capitaux_-_opera_forward_festival_2021 © Opera Forward Festival

L’interminable boucle temporelle des (re)confinements aura été bercée par nos proches souvenirs de streaming. Mais face à la fatigue numérique, les scènes internationales redoublent d’ingéniosité pour apporter à l’exercice leur touche de modernité. Pour la Fête de la musique 2020, l’OperaVision Summer Gala avait déjà montré les touches créatives de la vidéo de segments lyriques partout en Europe. Puis la Monnaie s’est lancée dans le film-opéra avec Dead little girl en septembre, et alterne maintenant captations plus « classiques » et formats hybrides entre concerts et images pré-tournées (à l’instar de The King and His Favourite, encore visible quelques heures).

L’Opera Forward Festival, qui propose un condensé de création lyrique chaque année, se trouva fort dépourvu quand la COVID fut venue en 2020. Pour éviter d’annuler une nouvelle fois ses manifestations en 2021, l'événement est passé au tout-en-ligne pour quatre jours de contenus vidéo. Si les tables-rondes, jam sessions comme à la maison et improvisations font parler les arts en période pandémique, le lyrique doit se contenter de petits formats : un avant-goût d’Upload de Michel van der Aa (théoriquement créé à Cologne en avril), l’opéra pour enfants Een lied voor de maan de Mathilde Wantenaar, et Les Sept Péchés capitaux en ouverture de festival.

L’œuvre est composée par Kurt Weill en 1933 lors de son exil provisoire à Paris, après l’accession au pouvoir d’Hitler. Cette dernière collaboration avec Bertolt Brecht consiste en fait en une commande de ballet pour la compagnie de Balanchine, que Weill souhaitera agrémenter de chant. La pièce raconte le périple d’Anna à travers les États-Unis dans le but de récolter l’argent nécessaire à la construction d’une maison sur le Mississippi pour sa famille. Chaque ville qu’elle (Anna I) et son double émotif (Anna II) visitent porte les traces d’un péché de la Bible, sans compter que la moindre action qu’elles entreprennent est commentée sur sa nature morale par leurs parents et frères (un quatuor masculin). La petite quarantaine de minutes des Sept Péchés capitaux la destine à s’insérer dans un programme plus conséquent – comme au Teatro alla Scala (Milan), qui l’associait exactement ce même jour à la même heure en livestream avec la cantate Mahagonny Songspiel –, mais le direct depuis la scène du Dutch National Opera recèle suffisamment de savoir-faire d’image pour se suffire à lui-même.

La combinaison de la mise en scène (Ola Mafaalani) et de la réalisation (Marc de Meijer) ne donne jamais l’impression de « théâtre filmé ». Il s’agit d’un court-métrage caméra à l’épaule qui sort gagnant de cette double vision en ne montrant pas l’intégralité des mouvements, en superposant les profondeurs de champ et en attestant d’une véracité musicale. Les deux artistes laissent les péchés s’installer même quand ce n’est pas leur tour. Les plans sur les deux Anna montrent souvent l’une dans la lumière et l’autre dans le flou. Anna I chante et tranche, Anne II joue et ressent. Ce que permet la construction des plans, c’est de faire disparaître le visible de la scène, c’est de rapprocher les spectateurs d’une émotion pure, c’est de faire communier l’univers de cabaret grinçant et moderne avec la performance du peintre André Joosten, qui s’affaire sur une toile blanche.

La confiance est totale entre le sismique Rotterdam Philharmonic Orchestra et la direction limpide d’Erik Nielsen, qui fait respirer les neuf numéros de l’œuvre, conçus comme des danses où le moindre instrumentiste devient pilier. Eva-Maria Westbroek (Anna I) est la parfaite encyclopédie vocale des péchés et des vertus ; elle incarne une science du texte où la respiration se niche dans les détails indicibles de phrases explosives, vindicatives, majestueuses, et soudainement mystérieuses. L’actrice Anna Drijver campe avec puissance son alter ego fragile et fragmenté, tandis que l’excellent chœur d’hommes (Peter Arink, Marcel Reijans, Michael Wilmering, Erik Slik) confirme le sans-faute de distribution, et surtout la franche réussite de ce format expérimental.

Thibault Vicq
(operaforwardfestival.nl, 18 mars 2021)

L'Opera Forward Festival continue en ligne jusqu'au 21 mars 2021

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