Le Turc en Italie à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, de la télé aux pensées

Xl_b._pizzuti_-_m._s_ng__-_e._galitskaya_-_g._loconsolo__c__orw_j-berger © ORW-Liège – J. Berger

Même si Le Turc en Italie n’est pas le titre le plus donné de Rossini, sa mise en scène reste assez souvent astreinte au théâtre dans le théâtre en raison du personnage du poète Prosdocimo, commentateur et déclencheur de l’action. Après un Palais enchanté gigogne et virtuose, l’enfant du pays – de Verviers, plus exactement – Fabrice Murgia fait ses débuts à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège dans avec sa première œuvre lyrique « de répertoire ». Il tente de résoudre l’équation du maître de cérémonie avec un réalisateur de cinéma cherchant auprès de ses comédiens l’inspiration de la telenovela qu’il est en train de tourner. La caméra tourne sur certains airs, bien calibrée, pour s’approcher de l’imagerie du feuilleton télé. Et puis, parfois, elle se fixe sur les figurants d’autres programmes – les Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, gaillards et efficaces –, dont le regard lumineux (même dans l’absence) sur les chanteurs donne le pouls de la trajectoire dramatique. C’est sur ce point précis que Fabrice Murgia transcende son propos, sans commune mesure avec le déjà-vu des sempiternelles mises en abyme. On retrouve donc son univers fellinien et sa passionnante veine à faire dialoguer l’image avec un jeu d’acteurs millimétré, mais on le sent un peu contraint de tricoter avec le personnage de Prosdocimo dans le deuxième acte, où il bifurque vers le raccourci de la confusion du réel et de la création artistique, avec le montage des « à-côté » du focus scène, dans une scène de bal étonnamment peu inventive. Mais ce qu’on ne peut certainement pas lui enlever, c’est sa passion du théâtre, qu’il ne se lasse jamais de délier en un Rubik’s Cube multi-émotionnel incarné le diable au corps par une distribution volontaire.

Il Turco in Italia - Opéra Royal de Wallonie-Liège 2022

Elena Galitskaya, déjà Fiorilla à l’Opéra de Dijon en 2016, est de presque tous les plans, et ça tombe bien, car elle illustre la préciosité solaire de chaque caractère en captant l’œil de la caméra et du spectateur. Bien sûr, il y a une voix, superbe et presque illimitée, pour laquelle n’importe quelle articulation se restitue dans un relief doré, mais l’étoile sait aussi briller dans tous ses états. À l’instar des arômes tutti frutti, on ne sait pas d’avance sur quelle émotion ou quel phrasé on va tomber. Or sa restitution fait toujours mouche ! Le meilleur résumé en est fait par Selim – le fameux « Turc » – dans une réplique à son égard : « Che bel canto, che bella presenza ». Mais c’est aussi celui qui dit qui est : Guido Loconsolo use de timbre séducteur et de calligraphie chantée pour rester dans une emphase mesurée, tout sauf sanguine. C’est le personnage du principe enraciné, jouant avec une aura dont il est parfaitement conscient. L’incroyable énergie stockée est redistribuée à parts égales grâce à un souffle hors du commun. Et le couple fonctionne tellement bien qu’on regrette que Rossini n’en ait pas allongé la partition !

Le Prosdocimo de Biagio Pizzuti connaît sa salle des machines intérieure. Les paramètres du beau chant sont tous réunis dans un équilibre absolu de très grande classe. Bruno De Simone (Don Geronio) se montre rigoureux de rythme et tendre d’expressivité, mais empâte légèrement son émission au fil de la soirée. Julie Bailly est adepte d’une ligne brusque à la justesse intermittente, et d’un vibrato écrasé, qui ne font pas trop justice au rôle de Zaida. Si on salue les possibilités de Mert Süngü, on regrette un peu le manque de continuité vocale et les automatismes d’interprétation qui tiennent moins compte du moment présent de l’exécution. Enfin, les courtes apparitions d’Alexander Marev dévoilent un héros romantique en devenir, à la texture sonore fumée.

Il Turco in Italia - Opéra Royal de Wallonie-Liège 2022

Giuseppe Finzi aiguille magnifiquement la fosse avec la désinvolture d’une bataille qui n’est que « pour rire », mais avec l’humilité de ne pas vouloir transformer la partition en ce qu’elle n’est pas. Il cherche comment faire sonner les portées de façon fidèle et optimale. Extrêmement pointilleux sur les articulations et les nuances, il garantit un travail d’orfèvre sur la répartition des matières et l’exactitude de la couleur. Rossini devient un cabinet de curiosités forain où la science du tempo ne se substitue pas au temps de musique, elle-même libre de s’épanouir grâce à la précision générale et l’absence d’artifices. L’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège est un allié prêt et déterminé, capable de toutes les exigences requises dans la collectivité. Nul besoin d’aller à Pesaro pour entendre l’orchestre rossinien comme dans nos rêves les plus fous !

Thibault Vicq
(Liège, 25 octobre 2022)

Le Turc en Italie (Il Turco in Italia), de Gioachino Rossini, à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège jusqu’au 29 octobre 2022

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