Un Turc en Italie burlesque et brillant à l'Opéra de Dijon

Xl_turco_in_italia © Gilles Abegg

Pour ouvrir la saison lyrique de l'Opéra de Dijon (qui s'avère un joli coup d'envoi), Laurent joyeux - maître des lieux - a opté pour un des ouvrages de Gioacchino Rossini parmi les plus drôles du compositeur italien, Il Turco in Italia, en important la production (burlesque et brillante) signée par Christopher Alden pour le Festival d'Aix-en-provence, à l'été 2014, spectacle coproduit avec la scène bourguignonne (en plus du Regio de Turin et et du Wiekli de Varsovie).

Outre une veine comique au premier degré, que le metteur en scène new-yorkais n'hésite pas à traduire à l'aide de nombreux gags plutôt drôles et réussis (comme le travestissement, au II, du chœur d'homme revêtant des tuniques orientales féminines), tout le cynisme de la pièce éclate à travers la distance que la mise en scène place entre le public et des personnages dont les sentiments n'ont, finalement, aucune raison d'être que d'alimenter la muse d'un auteur en mal d'inspiration (ici rivé à sa machine à écrire, parfois trop sonore, au point de parasiter l'écoute des chanteurs). Si la référence à Pirandello (Six personnages en quête d'auteur) est bien présente et assumée, les costumes (conçus par Kaye Voyce) et le décor unique imaginé par Andrew Lieberman (sorte de station de métro faïencée dans laquelle est venue s'échouer l'embarcation de Selim), situent l'action dans les années 50/60. Dans ce spectacle, auquel il ne manque peut-être qu'un soupçon d'humanité pour émouvoir autant qu'il séduit, la distribution convainc (plus par les voix graves qu'aigues cependant...) par la fusion qu'elle parvient à établir entre le chant, souvent virtuose, et un jeu théâtral dont les exigences ne le sont pas moins.

La soprano russe Elena Galitskaia se montre irrésistible dans le rôle de Fiorilla, prima donna capricieuse à la Ginger Rogers, moulée dans une robe à la Rita Haywoth. Elle confère à son personnage toute la gaieté insouciante, l'arrogance, la pétulance et l'espièglerie de cette femme mariée à un homme bien plus âgé qu'elle, en quête d'aventures épicées. Elle joue d'ailleurs tellement bien que l'on finit par oublier un registre aigu parfois problématique, qui n'a pas encore trouvé son assise, mais qui est compensé par un timbre d'un fruité particulièrement chaleureux. Dans le rôle de Narcisso, le ténor brésilien Luciano Botelho possède également un timbre séduisant, à la technique sûre, mais il affiche de manière trop déclarée des limites rédhibitoires dans ce répertoire, avec des aigus obtenus presque tous à l'arrachée, dont deux sont complètement étranglés.

Le baryton italien Vincenzo Taormina, s'il a tendance à privilégier le texte au détriment du chant, fait néanmoins du poète Prosdocimo le maître d'œuvre du spectacle, en adhérant avec une formidable conviction à ce personnage d'impresario sans scrupule, qui manipule son entourage au gré de sa fantaisie et des caprices de son imagination. De son côté, son compatriote Tiziano Bracci ne manque pas de verve dans le rôle de Don Geronio, ce cocu magnifique à la fois comique et touchant, auquel il apporte son art consommé du chant sillabato. Saluons enfin les prestations de la mezzo française Catherine Trottmann, qui confère beaucoup de fraîcheur, mais aussi de précision, au rôle de Zaïda, quand le ténor espagnol Juan Sancho (Albazar) gratifie l'auditoire d'un impressionnant abattage dans son aria, « Ah ! Sarebbe troppo dolce », air dit di sorbetto - c'est à dire secondaire, et servant de sorte d'entracte aux spectateurs à l'époque de la création de l'ouvrage... pour leur laisser le temps de déguster de rafraîchissantes glaces !...

Mais la révélation de la soirée (surtout dans ce répertoire !...) s'appelle Damien Pass – déjà applaudi in loco dans Ariane et Barbe Bleue (rôle-titre), Don Giovanni (Masetto) et Wozzeck (rôle du Docteur). Le baryton-basse australien ne fait qu'une bouchée du si difficile rôle de Selim - ce Prince turc qui débarque à Naples avec pour seul but de s'amuser -  qu'il incarne de manière très raffinée, avec le souci du détail de l'articulation, en plus d'une incroyable aisance vocale, et d'un non moins remarquable sens des nuances.

L'excellent chef italien Antonello Allemandi – grand habitué des plus prestigieuses fosses au monde, du Metropolitan Opera de New-York au Teatro alla Scala de Milan -  galvanise l'Orchestre Dijon-Bourgogne et le Chœur de l'Opéra de Dijon avec une tonicité à laquelle nul ne pouvait rester insensible. Il insuffle à cette partition difficile une vie et un relief irrésistibles, maîtrisant la progression de la construction dramatique, autant que les sursauts virevoltants qui en secouent l'évolution, alliant la netteté de la gestique à la souplesse des phrasés, offrant enfin aux chanteurs le confort et la stimulation d'une direction aussi explicite qu'imaginative.

Emmanuel Andrieu

Il Turco in Italia de Gioacchino Rossini à l'Opéra de Dijon – les 8, 10, 12 & 14 janvier 2016

Crédit photographique © Gilles Abegg

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