Le Freischütz au Théâtre des Champs-Élysées : donnez-nous du jarret !

Xl_20191017-69vp © Vincent Pontet

Le Freischütz a rarement les honneurs de productions scéniques en France, et en particulier à Paris, qui avait accueilli en 2011 à l’Opéra Comique une version en français remaniée par Berlioz. L’œuvre originale possède pourtant les atouts d’un succès total, avec l’éclat doré et la croûte croquante d’un jarret à l’intérieur moelleux. Si la dernière relecture qu’il nous avait été donné de voir à l’Opéra national du Rhin en mai dernier tenait davantage du jambon blanc fluo et bourré de phosphates, la version à laquelle nous avons assisté au Théâtre des Champs-Élysées (déjà présentée au Théâtre de Caen en mars 2019 et au Grand Théâtre de Luxembourg il y a peu, en attendant l’Opéra de Rouen Normandie en novembre) se rapproche du fade et sec rôti de porc de cantine, sûrement plus appétissant, mais guère plus satisfaisant.

 
Le Freischütz, Théâtre des Champs-Élysées;
© Vincent Pontet

L’ « expérience du noir profond » et la « polysémie visuelle et dramaturgique » dont se targue la Compagnie 14:20 (Clément Debailleul, Raphaël Navarro et Valentine Losseau) dans ses notes d’intention, ne sont que le fait d’une vacuité accablante, tentant de détourner l’attention par une prestidigitation de pacotille. À part quelques jolis plans de forêt, les projections vidéo, constituant l’unique dynamique scénique, tombent à plat. Anamorphoses, danses suspendues et illusions d’optique ne suffisent pas à susciter notre enthousiasme. Les moments de la Gorge aux Loups sont un échec illustratif, au même titre que le reste de l’œuvre, qui s’avère incompréhensible pour un public non-familier avec cet opéra pionnier du romantisme allemand. Les deux metteurs en scène et la dramaturge n’apportent aucune clé (et encore moins de direction d’acteurs), d’où de vives huées somme toute assez méritées à la fin de la représentation. Un langage de clair-obscur mieux mené et un travail vidéo plus abouti auraient forgé des outils largement exploitables pour cette histoire de pacte faustien.


Le Freischütz, Théâtre des Champs-Élysées;
© Vincent Pontet

« Déstabilisé, le spectateur est ainsi déplacé dans une disposition propice à l’écoute et à l’ouverture » : même si cette promesse digne d’un mauvais livre de développement personnel avait été tenue, le volet instrumental aurait fait tiquer à son tour. Laurence Equilbey, pour la première fois en fosse avenue Montaigne, prend beaucoup de pincettes avec son Insula orchestra. L’ouverture désastreuse est la première annonce des rhumatismes constants des cors et des problèmes de solfège des instrumentistes (à moins que les décalages ne s’expliquent par l’imprécision des gestes de la cheffe). L’orchestre finit par atteindre la bienséance, sans pour autant transporter. Laurence Equilbey pose des barrages sur le chemin de cette musique aquatique et enlève toute la couenne qui en fait la substance. Les forte trop francs et les piano contraints trahissent en outre l’absence de véritables nuances intermédiaires, malgré les moments réussis de danses rustiques et les solos grisants de l’altiste Adrien La Marca.

Le chœur accentus s’avère initialement plus réactif que l’Insula orchestra quant aux tempi, et nous tient par son excellence collective. Les étincelles magiques de Chiara Skerath (Ännchen) répondent avec grâce aux sentiments palpitants et mélancoliques de Johanni von Oostrum (Agathe). Les deux sopranos montrent des faces complémentaires dans une musicalité exemplaire. Le Max de Stanislas de Barbeyrac se situe en revanche en-deçà des grandes prestations auxquelles il nous avait habitués : en difficulté avec la justesse et le phrasé de ses graves, il peine à canaliser la vigueur de ses lignes trop accentuées, quoique superbement soutenues. Le Kaspar de Vladimir Baykov ne brille ni par les aigus ni par la structure de la prosodie. Si le souffle royal de Daniel Schmutzhard rend éminemment justice au Prince Ottokar, le vibrato anxiogène de Thorsten Grümbel empêche son Kuno de rayonner complètement. La distribution inégale achève donc de laisser sur sa faim, et nous gargouillerons d’attente jusqu’à la prochaine proposition scénique et vocale pour défaire la malédiction.

Thibault Vicq
(Paris, 19 octobre 2019)

Le Freischütz, de Carl Maria von Weber, jusqu’au 23 octobre au Théâtre des Champs-Élysées

Crédit photo © Vincent Pontet

 

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