Le chef Victorien Vanoosten, seigneur des Pêcheurs de perles à l’Opéra national du Capitole

Xl_23092023-_mir3129 © Mirco Magliocca

Nouvelle saison, nouvelle production. Le schéma bien connu s’applique également à l’Opéra national du Capitole de Toulouse, qui a la particularité, pour ses Pêcheurs de perles de rentrée, de réunir ses trois forces motrices maison (les excellents Orchestre, Chœur et Ballet).

On en viendrait même à oublier qu’un metteur en scène (et chorégraphe) a participé au spectacle, tant les mouvements surannés et les stéréotypes poussiéreux accusent une absence totale d’exigence théâtrale. Ce niveau zéro de direction d’acteurs est plutôt lamentable, surtout de la part d’un opéra national. Thomas Lebrun meuble le vide avec des numéros dansés paresseux et des inspirations de music-hall discount, qui ne relèvent nullement le niveau de cette lecture d’un autre temps, reposant exclusivement sur les somptueux décors d’Antoine Fontaine (également à la barre de ceux du Carmen « comme en 1875 », actuellement à l’Opéra de Rouen Normandie), s’attachant si peu aux personnages et aux ensembles, méprisant la dramaturgie intrinsèque de la musique (qu’importe la qualité très relative du livret), qu’il en devient non seulement passablement ennuyeux, mais aussi très frustrant. Avec ce déni de mise en scène, l’opéra devient alors divertissement bourgeois sans importance.

Si on ne se rappelle plus ce qu’on vient de voir, on sait en revanche qu’on a entendu de grandes pages de musique, sublimées par le chef Victorien Vanoosten, dont les coups de maître dans Massenet (Hérodiade) et Gounod (La Reine de Saba) à l’Opéra de Marseille annonçaient déjà que Bizet lui irait comme un gant – il a d’ailleurs déjà dirigé Les Pêcheurs de perles à la Staatsoper Berlin. Bien que l’Orient – du moins celui imaginé par des Occidentaux du XIXe siècle qui n’avaient jamais foulé Ceylan – soit peu évoqué dans la partition, la baguette le modélise en diadème de joyaux pittoresques et en textures sonores baudelairiennes, dans une gestuelle large et une minutie inouïe des articulations. Victorien Vanoosten sert un flux aquatique, inonde d’ondes, dépeint la possibilité d’un rivage, matérialise l’iode marine dans l’air ambiant grâce à des variations conséquente du son sur chacun des états émotionnels de la composition. La densité instrumentale perdure, tout comme l’intelligence de son assemblage. Il convoque le jour et la nuit, le sable chaud et un ailleurs interdit, un mélange pudique des sentiments individuels et une direction collective magnétique. Il propose à la fois une plénitude de la matière (un contexte) et un zoom sur des mouvements identifiés. L’Orchestre de l’Opéra national du Capitole s’exécute dans l’ensemble avec grande déférence (même s’il accuse des faiblesse aux violoncelles dès l’acte II), et les bois se montrent sous leur meilleur jour. Dommage que la Petite suite d’orchestre tirée des quatre-mains Jeux d’enfants (toujours de Bizet), intercalée entre le I et le II pour un changement de décor, soit bâclée par les musiciens, alignant des motifs maladroits dans des équilibres bancals. Subsiste le mouvement souverain de Victorien Vanoosten, en confident direct de ce que la musique a à partager.


Les Pêcheurs de Perles, Opéra national du Capitole (c) Mirco Magliocca 2023 

À l’exception du Nourabad ample, corsé et bien nuancé de Jean-Fernand Setti, la distribution rend peu justice à l’art mélodique des Pêcheurs de perles. Alexandre Duhamel craint de ne pas être entendu, et passe son temps à s’égosiller sans souci de nuances, alors que son magnifique timbre caramélisé lui permettrait des couleurs mirifiques. Mathias Vidal s’attache tellement au rythme qu’il chante Nadir comme un long récitatif baroque. Les airs hachés le sortent de son personnage malgré une voix à la préciosité du cristal qui aurait pu exceller en flots de transparences. La plus grande déception revient à la prestation d’Anne-Catherine Gillet : le français laisse foncièrement à désirer, la justesse encore davantage – une émission trop souvent basse, notamment –, la direction de phrase se trouve dénuée de sens, et les vocalises se transforment en mélasse. Cependant, le trio final atteint l’émulation qu’on aurait espéré individuellement depuis le début de la représentation. Le Chœur de l’Opéra national du Capitole, en dents de scie, accuse régulièrement retards et manque de synchronisation, mais émerveille par intermittences de sidérante ferveur unitaire.

Reste donc, en cette soirée toulousaine, un jeune chef, seul vrai fournisseur de trésors, qu’on s’impatiente de retrouver à l’avenir aussi radieux sous d’autres scènes.

Thibault Vicq
(Toulouse, 26 septembre 2023)

Les Pêcheurs de perles, de Georges Bizet, à l’Opéra national du Capitole (Toulouse) jusqu’au 8 octobre 2023

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