La divisione del mondo à l’Opéra national du Rhin : l’esquive de l’allégorie

Xl_adivisionedelmondoonr_pg1443photoklarabeck © Karla Beck - OnR

Recréée la même semaine que la délectable Finta Pazza, en création scénique française à Dijon, La divisione del mondo de Giovanni Legrenzi (1675) est une autre pépite vénitienne. La République de la Sérénissime permettait dans la deuxième partie du XVIIe siècle une liberté de discours qui était inconcevable dans le reste de l’Italie. Remise en cause de la masculinité et livrets explicitement polissons faisaient les joies d’un public maître des tendances opératiques.

Si un président de la République française peut supposément être « normal », les dieux romains peuvent bien aussi s’y mettre. La metteuse en scène Jetske Mijnssen transpose alors les frasques de Jupiter et les autres en chronique familiale. Or, une note d’intention pouvant basculer aussi vite qu’une promesse électorale, l’idée initiale n’atteint jamais le stade de l’aboutissement. En voulant humaniser à outrance les coucheries du clan, Jetske Mijnssen perd l’autorité magique de la déité. Elle qui avait si bien représenté les Enfers dans l’Orfeo de Rossi il y a trois ans à l’Opéra national de Lorraine (qui lui renouvelle sa confiance en coproduisant le spectacle avec l’Opéra national du Rhin) n’a cette fois pas grand-chose à dire.


La divisione del mondo, Opéra national du Rhin ©Karla Beck-OnR

Quatre générations de figures allégoriques vivent en colocation dans une haute bâtisse, dont nous ne verrons que deux monumentaux escaliers en spirale sur la scène. L’épisode du partage du monde entre Saturne et ses trois fils Jupiter, Neptune et Pluton ne couvre qu’une bribe de l’opéra. Pluton, détenteur des Enfers, déménage à la cave, et Pluton, en obtenant les Mers, fait l’acquisition d’un poisson rouge. L’intrigue décrit les désirs d’une Vénus nymphomane attirant magnétiquement tous les hommes (hormis Apollon, représenté en religieux puritain et hypocrite). Junon, épouse de Jupiter, ne se voile plus la face quant à la disparition de son capital séduction auprès de son mari, et Diane harcèle amoureusement Pluton. Rarement drôle, la production abuse de gags sous la ceinture et de clichés voraces : Junon, l’acheteuse compulsive ; Saturne, le vieillard lubrique ; Thétis, l’infirmière en habit sexy ; Neptune et Pluton, les vieux garçons qui vivent chez leurs parents. Nous peinons franchement à croire à cette histoire de famille bourgeoise oisive, que ne viennent pas rehausser des lumières, assez communes, ni cet érotisme pseudo-libéré de téléfilm à heure de grande audience, d’autant que le volume du plateau est exploité comme peau de chagrin.

Le virus de la fadeur se propage à la fosse, où Les Talens Lyriques (que nous avons connus plus engagés dans le baroque de Rameau à l’Opéra Comique ou de Salieri à Caen) ne visent que l’élégance sous la baguette de Christophe Rousset, à la recherche d’un son stratifié et continu, qui en perd son pouls intérieur et sa circulation sanguine. Les récitatifs prennent plus de place que les arias, la platitude s'installe.


La divisione del mondo, Opéra national du Rhin ©Karla Beck-OnR

La distribution revigore partiellement la sensation « poignée de main molle ». Arnaud Richard campe densément Saturne avec l’autorité et la sagesse du patriarche. Les frères Neptune et Pluton s’offrent le timbre grisant et suspendu du ténor Stuart Jackson, et la fermeté généreuse du baryton André Morsch. Ada Elodie Tuca distille un soupçon de légèreté dansante dans son incarnation d’Amour. Le contre-ténor Christopher Lowrey diversifie les appuis de sa ligne mélodique pour un Mars hypnotique. Nous reconnaissons les responsabilités de Jupiter grâce à Carlo Allemano, relevant tête haute toutes les difficultés de la partition par son souffle incomparable, malgré un vibrato parfois crispé. Dans le rôle de Mercure, Rupert Enticknap déploie des textures ductiles et fait rebondir sa prosodie de phrase en phrase. En revanche, l’Apollon de Jake Arditti sème la dureté dans ses récitatifs, et Julie Boulianne (Junon), gère ses doses d’émission dans la quantité plus que dans la qualité du placement et des contrastes. La justesse est aussi un problème récurrent chez Soraya Mafi (Diane), pourtant prompte à affaisser la puissance de son timbre dans des nuances perlées. Enfin, bien que les circonvolutions de pureté douce, la rythmique aérienne et les aigus poignants de Sophie Junker (Vénus) nous gagnent sans réserve, les accents pop combinés aux notes approximatives et à un manque de clarté du son déçoivent.

Cette production de La divisione del mondo est le penchant antithétique de La Finta Pazza, vue à Dijon. Les deux œuvres partagent le dynamisme de la langue et la liberté du ton. L’archéologie musicale n’a pas fini de nous surprendre.

Thibault Vicq
(Strasbourg, le 8 février 2019)

La divisione del mondo, de Giovanni Legrenzi, à l’Opéra national du Rhin jusqu’au 9 mars 2019

Du 20 au 27 mars à l’Opéra national de Lorraine

Les 13 et 14 avril 2019 à l’Opéra Royal de Versailles

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