La Calisto de Cavalli entre sagement au répertoire du Teatro alla Scala

Xl_273_0h3a5682._ph_brescia_e_amisano__teatro_alla_scala © Brescia e Amisano - Teatro alla Scala

La Calisto de Cavalli est créé à Venise le 28 novembre 1651, soit neuf ans après le décès de Galilée. S’il ne faut évidemment pas faire une lecture de cette adaptation des Métamorphoses d’Ovide sous le seul prisme de la science et du savoir, quelques éléments mettent la puce à l’oreille. La transformation de Callisto en ourse par Junon, puis en constellation – la Grande Ourse ! – par Jupiter, semble plutôt évidente. Mais il y a aussi la quête d’un amour plus fort que soi, plus loin que le connu, mené par les pieusement chastes Callisto et Diane : la première succombe à Jupiter alors que ce dernier se présente à elle sous les traits de Diane ; la seconde apprend à apprivoiser son vœu de pureté au contact du berger Endymion. Et si l’éducation sentimentale se rapprochait aussi du besoin de découvrir de nouvelles galaxies pour se redécouvrir soi-même ? Les dieux et les mortels sont dans le même bateau d’un monde en reconstruction, tourné vers un désir plus platonique et intellectuel que physique. Et la vérité est effectivement ailleurs…


La Calisto - Teatro alla Scala © Brescia/Amisano – Teatro alla Scala

L’opéra de Cavalli n’avait jamais été exécuté au Teatro alla Scala. Dans cette production toute neuve, le metteur en scène David McVicar nous emmène dans un observatoire astronomique du XVIIe, servant à étudier les corps célestes dont Callisto a pris la forme. Entre les armoires bourrées de livres, une lunette astronomique centrale et sa chaise à l’inclinaison modulable, une coupole qui s’ouvre sur la lune, et un parquet plus vrai que nature, le scénographe Charles Edwards a fait un travail remarquable. Même constat pour les costumes extravagants de Doey Lüth et les chorégraphies effrénées de Jo Meredith. David McVicar s’est si bien entouré qu’il se garde bien d’émettre des idées. L’ensemble n’a rien de déplaisant ; il s’agit seulement d’une disposition correcte de chanteurs dans l’espace, et non d’une histoire de personnages. Et le décor, peu usité, se révèle relativement encombrant dès que commence le vaudeville du Ciel et de la Terre. Pendant cette soirée bien convenue, les amusants moments des satyres libidineux sont la preuve que les jeux de travestissement auraient pu s’agrémenter de plus de piment, en considérant la liberté de ton inhérente à l’opéra vénitien.

La fosse rétrécie se niche dans un proscenium étendu. Christophe Rousset y dirige des instrumentistes des Talens Lyriques et de l’Orchestra del Teatro alla Scala (avec instruments d’époque). Nous ne savons pas s’il s’agit de la disposition, de la battue ou des musiciens, mais les contrastes sont peu audibles. La formation accompagne plus qu’elle ne conduit l’histoire. Le chef semble un brin précautionneux, si bien que les aspérités musicales n’existent qu’en plan de coupe. Restituées avec sérieux, certes, mais très sages. Après son vaillant coup de baguette dans la même œuvre à l’Opéra national du Rhin en 2017, Christophe Rousset ne suscite à Milan ni déplaisir, ni véritable passion.


La Calisto - Teatro alla Scala © Brescia/Amisano – Teatro alla Scala


La Calisto - Teatro alla Scala © Brescia/Amisano – Teatro alla Scala

Chen Reiss a la voix limpide qu’il faut à la Calisto de Cavalli. L’ornement masse l’oreille et la ligne se diffuse en textures raffinées, et parfois même jusqu’en buée chaude. Elle a plus d’un tour dans son sac dans ce discours qui ne se laisse jamais noyer par la musique. Dommage que cet écho de caractères multiples possède quelques vices de forme, notamment en termes de justesse. Le placement confus, notamment dans les tenues non-vibrées, est ce qui fait tomber à plat chaque tentative expressive d’Olga Bezsmertna (Diana). Sans lui, ses traits vocaux de promeneuse solitaire et le mystère de ses cheminements auraient pu laisser une impression bien plus positive dans cette prosodie appréciable. En Satirino, Damiana Mizzi trouve les meilleurs points d’inflexion pour faire avancer la phrase, malgré là aussi certaines imprécisions de notes. Pour le grain de reine et le port suprême, nous pouvons toujours compter sur Véronique Gens, à la noblesse innée. Son air « Racconsolata, e paga », au troisième acte, bouleverse par ses pensées mises bout à bout comme un cadavre exquis de déesse jalouse instillant un poison vertueux. Giove (Jupiter) supervise les cyniques parades amoureuses grâce à l’imposant, abondant et rigolard Luca Tittoto, qui jette sa pimpante poudre de perlimpinpin sur un public conquis. Les silences sont contenus dans son chant, la sensualité et le drame planent. Markus Werba fait du rentre-dedans en Mercurio : les yeux qui brillent, la voix qui luit, le baryton joue comme il respire, et interprète à haut débit. Il faut bien sûr citer la précision millimétrée et la folle drôlerie de Chiara Amarù, les arguments d’autorité vocale de Luigi De Donato, ou les lance-flammes de tendresse de John Tessier, mais c’est bien l’onirisme de Christophe Dumaux (Endimione) qui laisse pantois. Le contre-ténor plonge dans les étoiles et la douceur de vivre. Au contact de son timbre en résine de résurrection, tout coule de source. Il défend ses superbes pages au firmament : il entrevoit l’horizon, s’en approche, s’exauce lui-même, dans l’exultation ou la lamentation inextinguible. Il diffracte l’amour qu’exprime son personnage par-delà la serrure de la sincérité. Galilée, c’est lui, car par sa voix se construisent nos voyages d’opéra, immobiles, quoique guidés par la vitesse de la lumière.

Thibault Vicq
(Milan, 30 octobre 2021)

La Calisto, de Francesco Cavalli, au Teatro alla Scala (Milan) jusqu’au 13 novembre 2021

Crédit photo © Brescia e Amisano - Teatro alla Scala

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