La Belle Hélène aux petits oignons avec l’Opéra de Toulon

Xl_la_belle_he_le_ne___aure_lien_kirchner-38 © Aurélien Kirchner

En rénovation, l’Opéra de Toulon continue à créer dans la ville. Sa nouvelle Belle Hélène trouve pour villégiature la salle du Liberté (Châteauvallon-Liberté, Scène nationale), très sensée pour une œuvre de ce calibre théâtral. La réussite de la mise en scène d’Alice Masson (aussi aux chorégraphies, très entraînantes) et de Quentin Gibelin (aussi aux costumes, très amusants) est de coller à la proximité des chanteurs-acteurs et du public pour submerger ce dernier d’une spirale continue de mouvement et de gags qui font mouche, ce que les dimensions de la grande salle habituelle n’auraient sans doute pas permises.

L’impression de se trouver au milieu de l’action, dans du too much drama volontaire et nécessaire, participe à la truculence du propos. Pas besoin d’un décor opulent – ici, de simples restes d’architecture antique – lorsque le ping-pong des répliques se déroule comme ici sans temps mort, avec une telle incarnation du verbe par tous les interprètes. Le temps de la comédie exulte, quand la fatigue des corps (bien mis à contribution) perce au jour les caractères. L’adaptation visuelle à l’ère des influenceuses botoxées ou prothésées refuse justement les références trop précises à notre quotidien d’aujourd’hui, et donc les écueils de lourdeur. Ce spectacle très frais fait beaucoup de bien, et sera repris à l’Opéra Orchestre Normandie Rouen (coproducteur), où le tandem de mise en scène pimpera en outre La Grande-duchesse de Gérolstein en 2027.

La Belle Hélène à l'Opéra de Toulon (2025) (c) Aurélien Kirchner
La Belle Hélène à l'Opéra de Toulon (2025) (c) Aurélien Kirchner

Si le jeu fédère la troupe constituée, le chant ne reste clairement pas lettre morte. Anne-Lise Polchlopek envoûte en s’emparant de l’espace et du champ de notes ; la beauté d’Hélène réside aussi dans la musique, dans son corail et sa détermination. La mezzo-soprano figure la foi du désir et des envies, d’une reine insatiablement curieuse. Pas l’ennui bourgeois d’une parvenue. Et cela s’en ressent dans son émission linéaire et baladeuse au soutien imparable, qui ouvre les chemins les moins évidents. Le timbre de jeunesse éternelle de Filipe Manu est particulièrement disposé à servir le rôle de Pâris, dans une consciencieuse skyline de mots qui, par sa forme arrondie, dirige une pluie d’aigus toujours gagnants et une prosodie (chantée) d’excellence (les parties parlées trahissant parfois un français à couper au couteau). Ménélas (Charlie Guillemin) ne tient certes pas toutes ses promesses de netteté dans son louable parti-pris acéré et guttural, mais nous admirons le comique surdoué qu’il livre pendant les trois actes. Le Calchas ténu et bien sellé de Joé Bertili se joint à l’imposant et généreux Agamemnon de Jean Kristof Bouton. Brenda Poupard incarne pour sa part un.e Oreste (non-binaire) survolté.e et à la rythmique impeccablement huilée. Nous ne pouvons pas en dire autant du Chœur de l’Opéra de Toulon, qui n’a que faire du tempo de la fosse et de l’égalité de ses couches, et ne s’extirpe que très rarement de son état brouillon et de son retard.

Le chef Romain Dumas révèle la brillance de la partition d’Offenbach, fort de son expérience sur la version de longue de La Vie parisienne (vue et entendue à Rouen en 2019). Pour lui, l’accord est un objet précieux, une marchandise de coffre-fort au pouvoir ultime et à l’ampleur insoupçonnée, que l’Orchestre de l’Opéra de Toulon s’affaire à rendre pulpeuse et juteuse (sauf peut-être chez les cors, basson et trombone). La Belle Hélène a beau prendre des allures de péplum, la stabilité de la baguette (par exemple dans les valses à la française, aux deuxième et troisième temps constants) permet de construire les numéros sur la durée, à l’aide d’un arsenal très varié de piqués, trouvés par les instrumentistes. Les paysages de Sparte et de Nauplie s’éclairent et les sourires de contentement prolifèrent.

Thibault Vicq
(Toulon, 13 mai 2025)

La Belle Hélène, de Jacques Offenbach, Henri Meilhac et Ludovic Halévy, avec l’Opéra de Toulon (Châteauvallon-Liberté, Scène nationale), jusqu’au 18 mai 2025, et grand concert gratuit sur la place de l’Opéra, le 17 mai 2025 à 19h

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