Fidelio fait de la résistance à l’Opéra National de Bordeaux

Xl_fidelio_onb2025__ericbouloumie_-14052025-2713 © Eric Bouloumié

L’hymne à la liberté qu’est Fidelio se prête à rappeler les combats contre les régimes autoritaires à chaque époque. Certains sont plus parlants que d’autres, à l’instar de l’Occupation, au cours de laquelle se déroule la production de Valentina Carrasco à l’Opéra National de Bordeaux. Jean Moulin Florestan écroué par Klaus Barbie Pizarro, ça coule de source. La metteuse en scène mélange les épisodes historiques en faisant de Léonore une Lucie Aubrac de théâtre, et Don Fernando un De Gaulle qui délivre les prisonniers après avoir vaincu les forces nazies. Écrit de cette façon, le concept semble simpliste, mais il permet de fluidifier le propos et de prendre comme allié le temps long avec des actions issues d’un quotidien bien identifié. Il s’agit au premier acte de consigner de l’art spolié, de présenter le poids administratif et les conditions indignes d’emprisonnement (dans un décor fort bien pensé par Carles Berga et éclairé très intelligemment par Antonio Castro), de faire intégrer la banalité des gestes pour illustrer comment la mécanique de la cruauté s’infuse dans les habitudes, y compris de Leonore (dont Rocco ne s’étonne même pas de l’insistance à visiter les cellules en isolement).

Si de nombreuses idées rythment l’action, comme cette magnifique permission de sortie des prisonniers, où ceux-ci titubent au bout de quelques pas pour se relever ensuite et continuer leur marche – ce que le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux interprète sur le vif, en strates, en bribes, à la recherche d’une parole qui a été retirée à ces personnages –, Valentina Carrasco parvient peut-être moins à donner chair à l’amour entre Leonore et Florestan au deuxième acte (dans un sidérant espace constitué de sacs de marchandises ou de corps). Il n’empêche que cette lecture touche par la sincérité de son propos, ainsi que par la méthode, étant donné la participation (en tant que figurants) de personnes en réinsertion, que les équipes de l’Opéra se sont démenées à intégrer au projet. Seule l’adjonction finale de l’ouverture « Léonore III », accompagnée d’une projection de la Déclaration des doits de l’Homme et du citoyen, est en redondance avec le message de l’opéra…

Fidelio - Opéra National de Bordeaux (2025) (c) Eric Bouloumié
Fidelio - Opéra National de Bordeaux (2025) (c) Eric Bouloumié

Jacquelyn Wagner et Jamez McCorkle incarnent vocalement le couple de résistants en prenant pour point de départ l’état physique et mental des personnages. La soprano chante en boîte à musique discrète, meurtrie par l’effroi mais mue par l’omnipotence de l’espoir. Aidée d’un phrasé affirmatif et patient, elle devient allégorie de la résilience, métissée d’une pureté de la vérité. Le ténor sublime l’indécision volontaire de la ligne par une voix de tête en touches pastel. Il poursuit le voyage auditif par une fertile architecture de notes, posées les unes après les autres d’un timbre somptueux et d’aigus éclatants. Marzelline peut être certaine de faire passer l’émotion la plus conforme avec l’imperturbable Polina Shabunina, dans un concentré de rêve et de frivolité, quand Kévin Amiel endosse solidement le rôle de Jaquino. Paul Gay n’est quant à lui pas le Rocco incisif qu’on aurait pu espérer, en raison d’une priorité donnée à l’émission plutôt qu’à la qualité du son. Pizarro (Szymon Mechliński) conquiert par son panache de prosodie, son énergie de vengeance et ses denses projectiles de guerre mentale minutieusement envoyés tous azimuts. Enfin, Thomas Dear s’acquitte correctement, quoique sans grande ferveur, de ce pourtant Don Fernando De Gaulle.

Que les ondes de choc beethovéniennes ont de l’allure sous la direction de Joseph Swensen, avec l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine ! Les accents sont davantage traversés de grandeur que de violence, et le chef matelasse les textures tout en ne tassant jamais le tempo. Les basses (gardiennes des cadences musicales et des modulations) sont en éclaireuses de canons de fleurs se présentant en échanges de motifs entre pupitres, qui par leur itération, élabore un fil rouge haletant de la marche du récit. Joseph Swensen a le grand talent de ne jamais s’empêtrer dans un discours unique. Tout peut arriver, surtout avec des instrumentistes aussi roboratifs, et des matières aussi adipeuses et enveloppantes. La rage du beau son et la nature indispensable de faire porter la voix de la fosse pour les annihilés de liberté (quelquefois au détriment des chanteurs, couverts) confirme l’évidence de sa collaboration comme directeur musical avec l’Orchestre, depuis septembre dernier.

Thibault Vicq
(Bordeaux, 16 mai 2025)

Fidelio, de Ludwig van Beethoven, à l’Opéra National de Bordeaux (Grand-Théâtre), jusqu’au 23 mai 2023

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