Des pages liturgiques de Vivaldi, Galuppi et Haendel illuminées par Paul Agnew à la Cité de la musique

Xl_dixit_dominus © Thibault Vicq

Alors que la tournée de la fantastique, et pas très catholique production de The Beggar’s Opera, créée en avril 2018 au Théâtre des Bouffes du Nord, s’est achevée il y a une semaine à La Rochelle, Les Arts Florissants optimisent leurs effectifs en magnifiant parallèlement un programme de musique religieuse du XVIIIe siècle sous la baguette de Paul Agnew.

À tout seigneur, tout honneur : celui avec un « s » majuscule se voyait recevoir le chant du Dixit Dominus lors des vêpres dominicales. Georg Friedrich Haendel et son contemporain Baldassare Galuppi en ont tous les deux composé un à leur image. Le Saxon baigne le sien en 1707 d’un contrepoint omniscient, d’ostinatos rythmiques virulents et d’une époustouflante virtuosité formelle. L’Italien, né en 1706, écrit de l’opera buffa et s’implique dès les années 1740 au King’s Theatre où officiait Haendel. L’écriture de son Dixit Dominus, à une époque incertaine, est à ce titre plus théâtrale et texturale.

Malgré cette variété d’univers, le chef Paul Agnew tient inlassablement une cordée soudée, formée des instrumentistes et du chœur des Arts Florissants, ainsi que des deux principales solistes vocales. Emőke Baráth et Eva Zaïcik font d’ailleurs l’actualité discographique baroque, l’une autour de la compositrice Barbara Strozzi, l’autre sur le répertoire des cantates françaises. La soprano hongroise forme un nuage charnu autour de chaque note, énoncée avec rondeur et sans précipitation. Elle apporte une musicalité éveillée à ses inflexions, jusqu’à des cadences presque rossiniennes chez Galuppi. Le mouvement tournant du « Tecum principium » de Haendel prend en elle la forme d’un torrent itératif et coloré, sans obstacle au timbre. Seul le « De torrente », qu’elle partage avec la soprane Natasha Shnur, lui fera perdre la netteté de placement en raison de la prestation désagréablement pétrolée de sa partenaire. La mezzo Eva Zaïcik est splendide de précision galante ou de prosodie agitata. L’émission perlée de la voix jouit d’un port si naturel qu’elle en joue sur l’acoustique discrètement résonante de la Salle des concerts de la Cité de la musique. On accrochera légèrement moins à ses ricochets du « Virgam virtutis tuae », qui proposent une lecture certes libre, mais moins ancrée dans le magnétisme de la partition.

Le chœur et l’orchestre à cordes des Arts Florissants témoignent d’une unité considérable. À part quelques tranches de contrepoint déstabilisant l’équilibre entre les doigts et la voix (particulièrement dans la fugue finale à cinq voix), les longueurs d’archet se répondent joliment au dessin choral. Les ouvertures et les rétrécissements des nuances et de la masse sonore se révèlent diablement bien maîtrisés. Les instrumentistes sortent leurs atouts de jeu avec malice, n’ayant pas peur des extrêmes, tandis que les chanteurs adaptent leur mordant aux diverses ambiances. Cette unité, on la doit aussi à Paul Agnew, traduisant la double dimension divine et terrienne de ces partitions. Dans le Kyrie de Vivaldi, il dirige des forces inextricables qui se déplacent depuis les profondeurs de la terre mouillée. Le Credo frémissant et furieux du même compositeur s’achève quant à lui sur une multiplication des points de vue. Les mots « Dixit Dominus » de Galuppi sont scandés de manière plus injonctive que chez Haendel, où la mécanique de la logorrhée prend plus de place. Le déchirement des tissus et les basses martiales, comme les ascensions ouatées et les visions furtives d’étendues étoilées, sont au programme d’une soirée laissant planer l’imagination plus loin que les textes millénaires.

Thibault Vicq
(Paris, le 13 février 2019)

Copyright photo (c) Thibault Vicq

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