Chronique d'album : Voglio cantar, d'Emőke Baráth

Xl_voglio © DR

Le 18 janvier dernier paraissait chez Erato le disque Voglio cantar dans lequel Emőke Baráth (accompagnée d’Il Pomo d’Oro sous la direction de Francesco Corti) rend hommage à Barbara Strozzi, « l’une des premières femmes à mener une vie professionnelle en tant que compositrice et à connaître le succès auprès du public ». Un talent et un succès que la compositrice a su façonner notamment grâce à son environnement (la Venise très ouverte culturellement de la première moitié du XVIIe siècle), mais aussi grâce à ses soutiens les plus fervents, notamment Giulio Strozzi (qui était sans doute son père) et Francesco Cavalli qui assura son éducation musicale. Ainsi que le rappelle le livret, « avec pas moins de huit livres de musique vocale à son actif, elle publia plus de cantates que Cesti ou Cavalli » et fut « la seule femme catholique non religieuse d’Europe à publier de la musique sacrée ». Pour autant, à sa mort, sa musique semble avoir disparu pour rejoindre celles de toutes ces compositrices tombées dans l’oubli ou n’ayant pu briller du fait de leur sexe.

Heureusement, cet enregistrement vient nous rappeler le talent de compositrice de Barbara Strozzi, qui côtoie ici son professeur Francesco Cavalli, et quelques-uns de ses contemporains, comme Antonio Cesti, Biagio Marini et Tarquinio Merula. Outre cet hommage à la compositrice, la soprano Emőke Baráth indique dans son introduction que le disque se veut également un « hommage à tous ces parents qui, à travers le monde, encouragent leurs enfants à donner le meilleur d’eux-mêmes ».

Le disque s’ouvre naturellement avec Barbara Strozzi, et trois de ses airs : le premier, « Che si puo fare », suffit à nous transporter dans un univers envoûtant et à souligner tout le talent de la compositrice, qui se hisse sans mal au rang de Cavalli. La douceur de ces premières minutes nous berce et nous enveloppe, nous plonge avec délicatesse dans l’univers du disque avant d'enchainer avec des ornementations baroques aux inspirations manifestement parfois orientales, faisant écho aux influences vénitiennes de l'époque. Le deuxième air, « Mi fa rider la speranza », est davantage staccato et énergique avant que « Lagrime mie » nous plonge dans une lamentation où, là encore, une certaine lumière orientale vient ponctuellement réchauffer l’écoute. La Sinfonia grave « La Zorzi » de Biagio Marini est ensuite le premier titre instrumental du disque : l’exceptionnel ensemble Il Pomo d’Oro abandonne alors son rôle d’accompagnateur précis pour devenir interprète principal, laissant aller sa propre voix, son harmonie et son équilibre. Nous le retrouverons plus loin, toujours avec le même plaisir, pour une courte sinfonia de Cavalli ou encore dans le Ballo detto eccardo de Merula pour ne citer qu'eux, le dernier étant un bel exemple de la fougue baroque des cordes.

Barbara Strozzi trouve sa place entre ses compatriotes masculins, déployant son talent et sa virtuosité dans ces pages où la voix s’épanouit au sein de la musique. C’est d’ailleurs tout naturellement que lui revient le dernier mot avec L’AstrattoEmőke Baráth fait entendre un medium ensoleillé et des graves avenantes. La soprano se joue de la technicité des airs, tout en ne perdant jamais de vue les émotions qui doivent s’en libérer, et cela malgré l’exercice de l’enregistrement qui n'offre aucune aide visuelle pour toucher l’auditeur. C’est bien la voix, et la voix seule (tout juste soulignée par la musique) qui nous touche et fait mouche, pour mieux prendre la mesure des mots, dans une diction parfaite. Les aigus sont d’une belle pureté, d’une force à la fois douce et vigoureuse selon l’intention, et l’on sent poindre au détour de chaque note l’hommage qu’elle souhaite rendre.

Enfin, soulignons que le livret permet d'en apprendre davantage à la fois sur cette compositrice méconnue (au travers d'un portrait aux côtés des noms des interprètes), mais aussi sur l'intention de la soprano, parallèlement aux paroles traduites en anglais, français et en allemand.

Un très beau disque qui permet de découvrir une véritable pépite du répertoire baroque, magnifiquement servie tant sur le plan vocal que musical. On regretterait presque que la compositrice ne soit pas encore davantage présente, même si l’ensemble reste cohérent. Espérons que le nom de Barbara Strozzi revienne sur le devant de la scène, notamment grâce à Voglio cantar

Elodie Martinez

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