À l’Opéra national de Lorraine, un Don Pasquale (juste ?) pour les fêtes

Xl_https___www.myra.fr_wp-content_uploads_2023_06_don-pasquale_jean-louis-fernandez-pour-op_ra-national-de-lorraine-7-copie-1 © Jean-Louis Fernandez

Un spectacle lyrique programmé en décembre doit-il être un baba imbibé de « magie de Noël » ? Vaste question, que certaines maisons d’opéra choisissent de surmonter avec la gloutonnerie de Hänsel et Gretel, avec les bulles d’Offenbach, voire avec la neige de La Bohème – argument bien plus « Avent-compatible » que la tuberculose de Mimì – et à laquelle l’Opéra national de Lorraine répond par la comédie (ici tout public) de Don Pasquale, dans une nouvelle production avec l’Opéra de Rouen Normandie et l’Opéra Nice Côte d’Azur. Les décors (Leslie Travers) et les costumes (Jean-Jacques Delmotte), en plein dans la reconstitution parquet-moulures et dans les symboles hivernaux, avec les lutins, le sapin, le petit train et les bonshommes de neige (du moins dans la deuxième partie), sont bien « de fêtes », mais euthanasient la mise en scène. Cette dernière, prise en main par Tim Sheader, dont on avait justement apprécié la lecture de Hänsel et Gretel au Regent’s Park Open Air Theatre de Londres en 2019, capitule au bout d’une demi-heure, faute de place sur le plateau, faute d’idées, faute de conviction. « All I Want for Christmas », c’est Don Pasquale. Avec le minimalisme des mouvements, le sapin laisse plutôt place une version de concert (très) améliorée, comme si le metteur en scène avait été terrorisé de faire bouger les chanteurs au moindre changement de note. Le postulat initial – inspiré par la série Succession – de l’héritage du businessman Don Pasquale dans la tour qui porte son nom, du plan échafaudé par son bras droit Malatesta avec la femme de ménage Norina, dans une ambiance régie par le protocole et la contractualisation, augurait pourtant du meilleur. Or le décor ne laisse plus de place au développement psychologique, les portes ouvertes (comme la liaison entre Malatesta et Norina) ne sont qu’ouvertes, et l’esthétique de Noël vraiment forcée prend le pas sur tout, sans plus-value. La majorité de la lettre (livret et partition) est éludée, verrouillant ainsi le visuel (fixe et terne) par rapport à l’auditif, qui s’est quant à lui endimanché.


(c) Jean-Louis Fernandez

Le chef Giulio Cilona, finaliste du 2e Concours international de chefs d’orchestre organisé par l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, retrouve tout le panache qu’il avait inculqué aux Noces de Figaro à la Staatsoper Hannover début 2022. Le prodigieux dosage de la comédie à travers les tempos traverse l’œuvre d’une multitude de fulgurances, sur un tapis roulant continu de la gestion des équilibres. Accélérations et ralentissements contribuent à une construction virtuose de la précipitation des situations. La pasta instrumentale se forme dans l’émerveillement des caractères et articulations instrumentaux. Le directeur musical obtient d’un Orchestre de l’Opéra national de Lorraine des grands jours – on ne l’avait pas entendu aussi libre, attentif et précis depuis longtemps, malgré quelques solos un peu nerveux – des sons sur le vif, à la volée, mais avec une légèreté et une pétillance admirables. Ce superbe « pointillisme spaghetti », de continuité et de détail, se pare d’esprit jusque dans le moindre arpège, interprété comme un roulis doublé de tourbillons émotifs.


(c) Jean-Louis Fernandez

Lucio Gallo endosse le rôle-titre, comme à la Royal Opera House l’année dernière, mais avec un côté plus bestial et primal qui convient bien à Don Pasquale, vieil homme attaché à son propre plaisir. S’il lance beaucoup de fusées vocales qu’il peine à faire atterrir autrement que dans le volume, s’il a tendance à serrer ses fins de respirations, on ne pourra pas lui enlever ce jeu par le rythme de la voix, vrai témoignage d’un métier affûté. Le Docteur Malatesta a tout du conteur et du pipoteur grâce à la ligne longue et semi-élastique de Germán Olvera, qui gère la rhétorique musicale comme un roi. Le public est surtout gâté par le duo-joyau formé par Vuvu Mpofu et Marco Ciaponi, dont les timbres trouvent une compatibilité immédiate. La soprano sud-africaine, pour ses débuts en France, irradie dans un chant pulpeux qui sait se faire attendre pour dévoiler ses trésors. Dentelle et électricité se relaient pour une démonstration de possibilités infinies, proches à la fois du texte et de la vérité interprétative. Son partenaire italien est un fervent représentant du tenore leggero. Il impose les nuances piano en norme pour mieux se laisser porter par le flux de l’orchestre. La beauté profonde de la matière chantée et de son cours au souffle exceptionnel, fait triompher la patte des introvertis et la douleur d’un personnage moqué. Le Chœur de l’Opéra national de Lorraine gagne ses opérations caméléon : entraînant lorsqu’il est au cœur du propos, robuste lorsqu’il est accompagnateur.

Grâce à sa musicalité, ce Don Pasquale nancéien réussit donc à échapper à son statut de spectacle de Noël, que sa (quasi-non-)mise en scène tente d’autoproclamer.

Thibault Vicq
(Nancy, 17 décembre 2023)

Don Pasquale, de Gaetano Donizetti, à l’Opéra national de Lorraine (Nancy) jusqu’au 23 décembre 2023

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