À l’Athénée, un Couronnement de Poppée sans chair

Xl_vincent_lappartient__studio_j_adore_ce_que_vous_faites-il-nerone-21-22---vincnet-lappartient-studio-j-adore-ce-que-vous-faites-onp---10--1600px © (c) Vincent Lappartient - Studio J'adore ce que vous faites

Il Nerone, c’est le luxueux lot de consolation des Parisiens en 1647 par une troupe vénitienne « montée » à la capitale pour présenter un Orfeo de Luigi Rossi finalement impossible à concrétiser en raison de nombreux retards. Stefano Costa, membre du collectif et créateur du rôle de Nerone dans Le Couronnement de Poppée, opte pour ce dernier chef-d’œuvre de Claudio Monteverdi dans une version dénudée, sans machinerie, sans décors. Si on a la trace des répétitions de ce Couronnement coupé, on a moins de certitudes sur le fait que le spectacle ait bien eu lieu.

Le chef Vincent Dumestre, fondateur et Directeur artistique du Poème Harmonique, et le metteur en scène Alain Françon ont souhaité recréer « en condition » Il Nerone à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, une salle aux dimensions similaires à celle où aurait pu se tenir la première en 1647, aux côtés des artistes de l’Académie de l’Opéra national de Paris. Une fois les dieux supprimés (à l’exception d’Amore et Mercurio) pour rester fidèle à l’esprit minimaliste de la représentation supposée, se posait la question de conserver la dimension informée de la partition. L’œuvre se clôturait très probablement par un chœur, à l’image du Retour d’Ulysse dans sa patrie, et non par le célèbre « Pur ti miro », unique duo d’amour entre Poppea et Nerone figurant dans les manuscrits postérieurs à la mort du compositeur (le manuscrit original ayant disparu) en même temps que la suppression de l’acte II, scène 6. D’ailleurs, la structure de l’air qu’on a l’habitude d’entendre au XXIe siècle ne provient ni de la plume de Monteverdi, ni du librettiste, puisqu’elle ne concorde pas avec le programme des premières représentations du « vrai » Couronnement (1642). Seule subsiste la musique du duo « Partiamo », assaisonné d’un texte passe-partout qui a servi à d’autres œuvres. Retour donc au chœur final, et conservation de ce « Partiamo » sans fioritures au II !

Le retour aux sources laisse un sentiment mitigé en raison d’une distribution inégale et d’une mise en scène tellement réduite à l’essentiel qu’il ne s’en dégage que trop peu de personnalité… Alain Françon est en effet le penseur d’une usine à bâillements, qui à trop vouloir ôter la déité et les destins extraordinaires, prive la plupart des personnages de leur présence tragique. Son coup de poker manqué, c’est d’avoir parié que la prosodie monteverdienne rassasierait de théâtre, en dépit de scènes comiques réussies avec le Valetto et Arnalta. Les costumes bien pensés (Marie La Rocca) ont beau apporter une caractérisation visuelle des caractères, Alain Françon se soucie plus de personnages en situation que de personnalités.

Cet excès de zapping en tableaux tristement fixes semble également ennuyer les chanteurs de l’Académie de l’Opéra national de Paris (pour la plupart), pour qui Monteverdi n’est d’ailleurs peut-être pas aussi flatteur que Scarlatti ou Mozart – cf les comptes-rendus de La Giuditta à la Grange au Lac d’Évian et du gala au Palais Garnier cette saison. Les choses commencent pourtant bien avec une Fortuna désinvolte en feu d’artifice vocal (Martina Russomanno, plus tard Drusilla épanouie, maîtresse en son château, mue par les sons et la passion) et une Virtu minérale et touchante (Lise Nougier). Kseniia Proshina exprime la douceur mutine d’Amore dans l’assise de l’immortalité, faisant communier staccato et legato au même titre que dans son incarnation du Valetto (bien que plus maladroite, mais en phase avec la fonction). L’autre interprète truculent de la soirée est Léo Fernique, Arnalta de compétition, vocalement impressionnant, laser multidirectionnel de drôlerie, et guidé par le sens et le rythme du texte. Si Fernando Escalona est visiblement habité par la partition, son Nerone cynique et appliqué en nuances, au timbre de porcelaine, s’éloigne peu à peu d’un idéal de précision. La justesse est cependant plus problématique avec Léopold Gilloots-Laforge, en Ottone qui ne semble pas avoir le même diapason que la troupe. Marine Chagnon fait perdurer les liaisons de la partition grâce à sa respiration dynamique, et traduit tous les malins sourires en coin de Poppée dans des rubans de voix spiralés, alors que Lucie Peyramaure est une Ottavia plus discrète. La pâte vocale d’Alejandro Baliñas Vieites sied complètement à Seneca, même si le rôle semble un peu trop bas pour lui. Soutien, projection et rigueur sont les qualités des autres seconds rôles portés haut la main par Léo Vermot Desroches, Thomas Ricart et Yiorgo Ioannou.

Quelques jours après Coronis à l’Opéra Comique, Vincent Dumestre et son Poème Harmonique reprennent du service dans un son rentre-dedans de taverne, en simili-bœuf, qui vient pallier le manque de chair de la mise en scène. Les cordes sifflent et claquent, chantent et dansent, et le chef assume la tête haute toutes ses audaces. Un voile nuageux se diffuse dans l’épaisseur des tenues et des accords. C’est la matière du théâtre qui se révèle, et qui donne à Il Nerone sa vraie ressource.

Thibault Vicq
(Paris, 2 mars 2022)

Il NeroneL’incoronazione di Poppea (Le Couronnement de Poppée), de Claudio Monteverdi :
- à l’Athénée Théâtre Louis-Juvet (Paris 9e) jusqu’au 12 mars 2022
- à l’Opéra de Dijon (Grand Théâtre) du 20 au 26 mars 2022
- à la Maison de la Culture d’Amiens le 1er avril 2022

Crédit photo (c) Vincent Lappartient - Studio J'adore ce que vous faites

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