Les jeunes artistes de l'Académie de l'ONP brillent dans "La Giuditta" d'Alessandro Scarlatti à La Grange au Lac d'Evian

Xl_la_giuditta___evian © Matthieu Joffres

L’heure de la réhabilitation des Oratorios d’Alessandro Scarlatti semble avoir sonné, et c’est ainsi qu’après un enthousiasmant Caino ovvero il primo omicidio à Montpellier il y a quelques mois, c’est au tour de La Giuditta d’être présentée au public de La Grange au Lac d’Evian, dans le cadre de son festival des « Voix d’automne ».

L’ouvrage a été créé en 1693 à Rome, et reprend le célèbre épisode biblique de Judith, qui décapita le roi assyrien Holopherne après l’avoir séduit, assurant ainsi la liberté de son peuple ; c’est d’ailleurs exactement le même récit que reprendra Vivaldi, vingt ans plus tard, pour sa Juditha Triumphans composée pour la Pietà de Venise. La Giuditta appartient à une époque transitoire du genre, où l’oratorio se rapproche de plus en plus, dans sa structure et dans son style, de l’opéra, et plus précisément de l’opéra napolitain en vigueur à l’époque dans toute l’Europe : apparition du da capo dans de nombreux airs, alternance régulière des récitatifs et des airs, remplacement progressif de la basse continue par une orchestration légère. Alessandro Scarlatti, un des plus grands et des plus féconds compositeurs d’opéras de son temps y déploie toute sa science de dramaturge : l’opposition entre le sentiment religieux et les passions profanes est exploitée magistralement, en particulier dans la confrontation entre la pieuse Judith et Holopherne, sensuel et dominateur. Le style personnel de Scarlatti se signale, par ailleurs, par un usage toujours mesuré et rationnel de la virtuosité vocale, par des qualités expressives et une richesse harmonique singulières à une période friande de prouesses acrobatiques de la part des chanteurs, souvent au détriment de l’intérêt musical et dramatique…

Pour redonner vie à cette partition aussi riche que rare, La Grange au Lac n’a pas fait appel à des stars du chant baroque mais aux jeunes artistes de l’Académie de l’Opéra National de Paris avec lesquels l’institution savoyarde a décidé d’entretenir des rapports privilégiés. Au regard de ce que l’on a entendu, les trois rôles principaux ont déjà toute l’aura et la technique nécessaires pour chanter sur les scènes internationales. Dans le rôle-titre, la mezzo française Marine Chagnon capte l’attention par la détermination farouche que la chanteuse-actrice arbore pour mener à bien sa mission… et la voix est à la hauteur de l’enjeu et des difficultés d’une partition virtuose mettant en musique ce très beau personnage : l’accent se fait tour à tour martial dans son air d’entrée « Trombe guerierre » ou doucereux pour mieux séduire et « endormir » son ennemi juré (« Se di gigli » et son duo avec Holopherne « Mio conforto/Mia speranza »). Passé par le fameux El Sistema du Venezuela (dont il est originaire) et par le CMBV, le contre-ténor Fernando Escalona fait également forte impression, avec une présence scénique indubitable et un timbre particulièrement séduisant malgré son amplitude (encore) limitée. Il brille par des vocalises pleines d’aplomb, comme dans son aria « Lampi e tuoni », et sait lui aussi trouver de suaves accents dans les duos amoureux avec Judith. La soprano américaine Ilanah Lobel-Torres, dans le rôle travesti du Prince Ozias, offre une voix fruitée et une musicalité sans faille, soutenue par un impeccable phrasé et un art de la vocalisation souverain. Son air final « Se la gioia non m’uccide » restera comme un des sommets vocaux de la soirée. Plus en retrait, la basse américaine Aaron Pendleton (Sacerdote) possède certes un physique aussi imposant que des graves profonds, mais la ligne de chant n’est pas toujours stable, tandis que le Coréen Kiup Lee (Capitano) ne manque pas de style ni de projection, mais accuse une certaine uniformité de ton.

À la tête de son ensemble Les Accents, Thibault Noally offre une direction souple, précise et toute de finesse, qui n’exclut pas des contrastes de dynamique très marqués, avec un tempo plein d’allant, quand la partition l’exige. Le chef français nous entraîne avec bonheur dans cette musique à la fois raffinée et contrastée, et il faudra accorder une mention spéciale au continuo, très fréquemment sollicité, exemplaire de style et d’efficacité (Elisa Joglar au violoncelle, Marc Wolff au luth, Anne-Garance Fabre à la viole de gambe, Mathieu Dupouy à l’orgue et Brice Sailly au clavecin) ainsi qu’à la trompette souveraine d’Emmanuel Mûre !

Emmanuel Andrieu

La Giuditta d’Alessandro Scarlatti à La Grange au Lac d’Evian, le 23 octobre 2021

Crédit photographique © Emmanuel Andrieu

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