Une enthousiasmante Walkyrie à l'Opéra de Marseille

Xl_la_walkyrie___marseille © Christian Dresse

On croyait en avoir fini avec les spectacles dits « dégradés » en raison de la Covid, mais l’Opéra de Marseille a néanmoins dû revoir entièrement sa copie pour la reprise de La Walkyrie dans la mise en scène de Charles Roubaud, déjà présentée dans ses murs en 2007. Ce n’est pas seulement la mise en scène qui passe ici à la trappe, remplacée par une version semi-scénique basée sur l’usage d’images vidéo (et de déplacements toujours judicieux), car l’orchestre est également touché. Placé sur scène derrière le tulle qui sert de support aux projections, son effectif est d’une cinquantaine de musiciens (contre la centaine que réclame la partition), dans un arrangement établi par Eberhard Kloke. Avouons que, placé au premier balcon, le déficit sonore ne nous a pas gêné, or peut-être pendant la célèbre Chevauchée des Walkyries où, en effet, le « compte » n’y était pas. En remplacement de Lawrence Foster, souffrant, le chef germano-indonésien Adrian Prabava est l’une des bonnes surprises de la soirée ; il dirige habilement (quoiqu’avec des tempi un peu ralentis) un Orchestre Philharmonique de Marseille bien disposé à son égard, et sait ménager les passages chambristes, tout en soignant les couleurs, de la partition de Richard Wagner.

Pour ce qui est de la mise en scène, exit la scénographie de Michel Hamon et les images vidéo de Gilles Papain, déjà très prégnantes en 2007, et remplacées ici par de nouvelles, conçues par Camille Lebourge (seuls les étonnants costumes de Katia Duflot et les subtils éclairages de Marc Delamézières sont conservés). De très belles images se succèdent tout au long de la soirée, une simple écorce de frêne au I, une immense tête de bélier pendant la confrontation entre Wotan et Fricka (photo), une façade de marbre puis un paysage montagneux au II, et, au III, des branchages entremêlés puis le rocher de Brünnhilde, dont l’embrasement gagne bientôt tout le cadre de scène (en marbre rouge) pour un effet des plus spectaculaires !

Comme d’habitude à Marseille, la distribution vocale a été choisie avec soin par Maurice Xiberras, incluant de nombreux chanteurs français avec autant d’audace que de réussite ! Après avoir été applaudie dans diverses héroïnes wagnériennes (Fricka, Kundry ou Brangäne), Sophie Koch délaisse ses emplois de mezzo pour endosser le rôle de Sieglinde qu’elle défend avec une vraie qualité d’émotion, vibrante, véhémente ou pathétique, sans que la rondeur de la voix n’ait à en souffrir. Face à elle, le ténor autrichien Nikolaï Schukoff (son partenaire à la scène dans Parsifal au Théâtre du Capitole en 2020) envoûte par la beauté du timbre, un phrasé exemplaire, des aigus jamais pris en défaut (avec des Wälse ! longuement tenus), et une expressivité aussi constante qu’intense.
Grand habitué des incarnations wagnériennes, le baryton coréen Samuel Youn impose d’emblée son autorité, et sa puissance d’évocation balaie toute réserve (malgré une baisse de tension dans le troisième acte). A rebours de lui, la Walkyrie de la cantarice allemande Petra Lang peine dans les aigus de sa première intervention, mais au fur et à mesure de la représentation, la voix se chauffant peu à peu, son mezzo retrouve son velours, et sa chaleur et son humanité forment alors un beau contraste avec la dureté implacable de son géniteur.
Sans chauvinisme aucun, avouons que c’est cependant la Fricka d’Aude Extrémo (en remplacement de Béatrice Uria-Monzon) et le Hunding de Nicolas Courjal qui nous auront procuré le plus de plaisir. Après avoir chanté le rôle il y a trois saisons à Bordeaux, on peut affirmer que la première est désormais l’une des Fricka les plus abouties du moment, l’énergie – et même la hargne – requises par son personnage répondant idéalement au somptueux métal de sa jeune voix, dont les descentes dans le registre grave offrent les mêmes frissons que les envolées souveraines dans l’aigu. Quant au second, il impressionne également tant vocalement que physiquement, et impose un Hunding rugueux, à la violence contenue et à la gestuelle fruste, a contrario d’un timbre d’airain et d’une voix tonitruante. Cocorico encore, pour les huit walkyries francophones (sept françaises et une suisse), elles aussi irréprochables d’intensité et de ferveur.

Bref, une grande soirée wagnérienne à l’Opéra de Marseille !

Emmanuel Andrieu

La Walkyrie de Richard Wagner à l’Opéra de Marseille (février 2022)

Crédit photographique © Christian Dresse

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