Un éblouissant Peter Grimes pour la réouverture de l'Opéra Grand Avignon

Xl_peter_grimes___avignon © Cédric Delestrade

Après quatre années de travaux, l’Opéra Grand Avignon a enfin rouvert ! Avec deux ans de retard sur le calendrier prévu, la salle historique de la Place de l’Horloge a fait peau neuve, et le public avignonnais dispose désormais d'un bâtiment ultra moderne et confortable. Avec 200 places de moins, la salle a certes perdu en capacité d’accueil, mais c’est au profit de sièges flambant neufs, et d’un réaménagement qui a radicalement amélioré l’acoustique – l'un des principaux atouts de cette rénovation. Une mention aussi pour le magnifique lustre commandé à la designeuse Sylvie Maréchal, qui présente une forme de dôme inversé, mais dont la forme change en fonction du placement en salle.


(c) Nicolas Eudeline

Deux soirées sont venues fêter cette réouverture tant attendue : d’abord un concert symphonique proposé le 14 octobre, puis le lendemain le chef d’œuvre de Benjamin BrittenPeter Grimes, dont le maître des lieux, Frédéric Roels, a signé lui-même la mise en scène. Le premier concert n’a pas été, à nos yeux, à la hauteur de l’événement. Pour commencer, mal placé en bout de rang sous le balcon, ce n’est pas ce soir-là que nous avons pu savourer la nouvelle acoustique du théâtre rénové. Ensuite, le choix du soliste et du programme ne nous ont guère enthousiasmés. Michaël Levinas est un excellent compositeur, mais son interprétation du 3ème Concerto de Beethoven ne nous a pas convaincus, avec son toucher prudent et analytique, nullement virtuose et enlevé. Quant à la Première Symphonie de Louise Farrenc, ce n’est pas le chef d’œuvre oublié que l’on nous avait promis - même si la compositrice française du milieu du XIXème y fait preuve d’un savant sens de la composition, qui a retenu la leçon des ouvrages de Beethoven et plus encore des Symphonies de Mendelssohn. On ne peut en tout cas pas enlever à la cheffe Israélo-brésilienne Debora Waldman, la nouvelle directrice musicale de l’Orchestre National Avignon-Provence, son engagement sans faille auprès de sa formation, dont il faut saluer la précision des attaques et l’homogénéité des pupitres.

Le deuxième soir, l’enthousiasme est en revanche à son comble tant ce Peter Grimes s’avère une réussite absolue à tous points de vue. On n’en finit pas de découvrir les trésors de cette partition (notre préférée du XXème siècle aux côtés de Lady Macbeth de Mzensk et Dialogues des Carmélites) : la splendeur des Interludes orchestraux, celle des grands chœurs, une orchestration à la fois subtile, fine et acérée, mais aussi colorée, le traitement très personnel de la voix, la force dramatique de certaines pages comme le duo d’Ellen, l’institutrice, avec Peter Grimes, le visionnaire, et son grand air « Now the great Bear and Pleiades »…


Peter Grimes, Opéra Grand Avignon


Peter Grimes, Opéra Grand Avignon

Dans un rôle où il succède à des monstres sacrés tels Jon Vickers ou Ben Heppner, le ténor allemand Uwe Stickert ne pâlit pas dans sa composition d’un homme bourru et torturé. Sa voix de ténor héroïque, mais au timbre inhabituellement clair et lumineux pour ce personnage (à l’opposé d’un José Cura, par exemple, que nous avions entendu dans le rôle à Monte-Carlo il y a trois ans) fait merveille, en conférant à son personnage une étreignante humanité. Même dans les accès de violence, la douceur du timbre conserve sa beauté, et ne semble se noircir qu’à regret. On admire enfin sa vaillance constante, et il récolte un juste triomphe au moment des saluts. Excellente également, la touchante Ellen Ford de la soprano avignonnaise Ludivine Gombert, au jeu sensible et à la voix ample et bien conduite. Le vétéran allemand Robert Bork (Captain Balstrode), en superbe forme vocale, campe un vieux loup de mer plus vrai que nature. De son côté, le jeune ténor belge Pierre Derhet incarne un bouillonnant Bob Boles, le pêcheur méthodiste, auquel il offre son brillant registre aigu, tandis que Cornelia Oncioiu incarne une Auntie (la tenancière du Boar Inn) haute en couleurs. Dans le rôle de Mrs Sedley, Svetlana Lifar évite avec intelligence la caricature, tout en prêtant à son personnage ses graves profonds. Grimées en sœurs jumelles, les deux Nièces campées par Charlotte Bonnet et Judith Fa sont parfaites, la deuxième brillant un peu plus par l’éclat d’aigus cristallins, tandis que les nombreux autres rôles sont tous incarnés par de méritants chanteurs : Geoffroy Buffière en Swallow, Laurent Deleuil en Ned Keene, Ugo Rabec en Hobson ou encore Jonathan Boyd en Reverend Adams.


Peter Grimes, Opéra Grand Avignon

Quant au spectacle (coproduit avec l’Opéra de Tours et le Théâtre de Trèves), il s’avère d’une belle sobriété (une scénographie signée par le brillant Bruno de Lavenère) avec ses deux pontons en bois et son bateau renversé, recouvert par une immense bâche noire qui jonche tout le plateau, et qui est parfois soulevée vers les cintres pour évoquer un plafond lugubre ou des vagues menaçantes : la noirceur du drame et l’omniprésence de la mer sont ainsi d’emblée plantées. Le fond de scène laisse entrevoir un ciel orageux auquel les subtils éclairages de Laurent Castaingt offrent des effets changeants, toujours oppressants, et d’un superbe esthétisme. Mais le mérite de Frédéric Roels est d’avoir dessiné ses personnages avec des contours très précis (également au travers des formidables costumes conçus par Lionel Lesire), et d’avoir mis en exergue le drame de l’homme esseulé, face à une société de village bête et méchant, ne trouvant qu’un peu de compréhension auprès d’Ellen et du Capitaine Balstrode. D’où des déplacements des chœurs en blocs compacts, menaçants, et parfois placés au-devant de la scène, face au public, lors du spectaculaire moment où ils hurlent à plusieurs reprises « Peter grimes ! », avec la claire intention d’aller le lyncher.

Violent et réglé avec précision, ce spectacle répond au tissu symphonique très serré qui monte de la fosse. L’Orchestre National Avignon-Provence, puissant et transparent, se surpasse comme jamais, et ne faiblit pas un seul instant. L’excellent chef italien Federico Santi fait notamment des fameux Sea Interludes des pages dramatiques particulièrement angoissantes, et l’on n’oubliera pas de mentionner la formidable performance du Chœur de l’Opéra Grand Avignon, ici renforcé par son voisin montpelliérain, qui se couvre de gloire dans une partition où il est fortement sollicité.

Une éclatante réussite et un début de (première vraie) saison sous les meilleurs auspices pour Frédéric Roels !

Emmanuel Andrieu

Concert de réouverture et Peter Grimes de Benjamin Britten à l’Opéra Grand Avignon, les 14 et 15 octobre 2021

Crédit photographique © Cédric Delestrade

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