Un bouleversant Werther clôt la saison capitoline

Xl_3.1_werther_-_jean-fran_ois_borras__werther__et_karine_deshayes__charlotte__-_cr_dit_patrice_nin © Patrice Nin

C’est précisément dans cette production de Werther du Théâtre du Capitole, signée par le maître des lieux d’alors alias Nicolas Joël, que nous avion entendu pour la première fois Roberto Alagna, un souvenir impérissable tant le choc fut grand pour le jeune lyricomane que nous étions. Déjà très classique à l’époque, la mise en scène du célèbre homme de théâtre ne peut qu’avoir un aspect quelque peu suranné à nos yeux d’aujourd’hui, même si elle a au moins le mérite de respecter à la lettre les sensibilités croisées de Johann Wolfgang von Goethe et de Jules Massenet, dans des décors sobrement figuratifs d’Hubert Monloup. Rien ici qui puisse choquer l’œil et le bon goût, mais on regrettera encore une fois le manque de soin apporté à la direction d’acteurs (la reprise était pourtant confiée aux mains expertes de Frédérique Lombart…), à commencer par celle du protagoniste qui va et vient sur scène un peu à son gré (ce qui est d’autant plus problématique que le jeu scénique n’a jamais été la première des qualités du chanteur…).

Avouons-le d’emblée, le bonheur distillé par la partie vocale est de la même intensité que celui ressenti il y a vingt-deux ans, grâce à la sublime performance vocale des deux grandes voix françaises réunies par Christophe Ghristi sur la scène capitoline : Jean-François Borras en Werther et Karine Deshayes en Charlotte, que l’Opéra de Vichy avait déjà mis à l'affiche dans le même ouvrage (mais en simple version de concert) dans le cadre de son dernier festival d’été. Le premier nous gratifie d’abord de son timbre unique, de son rare souci des nuances et des couleurs, de son inégalable diction, mais aussi de ses intentions musicales toujours justes, et la fameuse scène du Lied d’Ossian - scrupuleusement contrôlée et sans aucun effet superflu - restera le moment paroxystique de la soirée. Nous ne sommes pas près d’oublier non plus celui où il entonne « Lorsque l’enfant revient d’un voyage avant l’heure », propre à tirer les larmes des cœurs les plus endurcis, par ailleurs couronné d’un Si aigu d’une ardeur irrésistible. Karine Deshayes n’enthousiasme pas moins en Charlotte, à qui elle prête ses somptueux moyens, qui n’ont jamais été aussi proches d’une authentique tessiture de falcon, voix opulente et sonore avec des graves à faire frémir et des aigus ébouriffants. Scéniquement, elle donne à son personnage un tour éminemment dramatique (une dimension scénique qui lui faisait visiblement défaut à Vichy...), mais elle est idéalement cette jeune protestante au cœur gros et au corps raide, imbibée de vertu, incapable de compromis, qui joue sa vie à quitte ou double et qui, au final, laisse enfin brûler sa passion par une si longue frustration. Les deux artistes atteignent des sommets d'émotion dans la scène finale (photo), et récoltent ainsi un succès aussi triomphal que mérité aux saluts.

Après son formidable succès dans Le Postillon de Lonjumeau à la Salle Favart en mars dernier, la soprano québécoise Florie Valiquette campe une des plus délicieuses Sophie qu’il nous ait été donné de voir et d’entendre : fraîche, naïve sans être gourde, pleine de verve mais jamais pointue. Albert sarcastique mais étonnamment sobre d’André Heyboer, très juste Bailli du vétéran Christian Tréguier, les Johann et Schmidt de Francis Dudziak et Luca Lombardo, bien accordés dans leur savoureux contraste, sont exactement ce qu’on l’on attend d’eux, et surtout ne manquent pas de drôlerie. Quant aux enfants de la Maîtrise du Capitole, ils ouvrent et ferment le drame avec un poignant brio.

Au pupitre, Jean-François Verdier - directeur artistique et musical de l'Orchestre Victor Hugo Franche-Comté - veille à éviter toute guimauve et tout romantisme dégoulinant, sans pour autant sacrifier la chaleur et la sensualité propres à cette musique. Grâce à un Orchestre national du Capitole qui brille de mille feux ce soir encore, le jeune chef français fait progressivement monter la tension à partir de l’arrivée de Werther, pour culminer dans un quatrième acte aux échos wagnériens puissamment soulignés.

Un Werther qui termine en beauté une magnifique saison capitoline, récemment récompensée par un prix décerné par l’Association Professionnelle de la Critique !

Emmanuel Andrieu

Werther de Jules Massenet au Théâtre du Capitole, jusqu’au 2 juillet 2019

Crédit photographique © Patrice Nin

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