Turandot au Théâtre du Capitole

Xl_turandot2 © Patrice Nin

Dès le lever du rideau, le public est prévenu : la vision de Calixto Bieito de Turandot, l'ultime opus lyrique de Giacomo Puccini ne sera pas de tout repos. Le trublion espagnol transpose l'action dans la chine maoïste : Turandot, plus névrosée que jamais (et ici carrément psychopathe) dirige une usine de confection de poupées, dont les nombreuses petites mains sont à son entière merci, ainsi qu'à celle des trois ministres changés en militaires sadiques et sanguinaires (qui se déguisent en drag-queen, au II, sans que l'on comprenne pourquoi...). L'humiliation, la torture et le meurtre sont leurs passe-temps favoris, et nombre de scènes d'une violence inouïe défilent sous nos yeux tout au long de la soirée. Quant à l'Empereur Altoum, c'est un vieillard cacochyme en couche-culotte (pleine) qui traîne sa carcasse (le plus souvent à quatre-pattes) badigeonnée d'on ne sait trop quelle substance (ses propres excréments ?), et que sa fille Turandot maltraite à coups de ceinturon.
Bref, Calixto Bieito...fait du Bieito ! Et tout cela ne fait pas un opéra qui tienne la route, et encore moins une Turandot. Certes, les aspects cauchemardesques du projet sont parfois intéressants. Certes, la mise en images est souvent virtuose, mais rien n'y fait de notre côté : entre deux effets chocs, le plus souvent, on s'ennuie. La provocation supposée a pour seul résultat de laisser de glace devant l'un des opéras les plus poignants du répertoire, sans poésie et sans un seul instant d'émotion.

Heureusement, la représentation est d'un haut niveau musical et vocal. Après avoir chanté le rôle d'Isolde in loco en février dernier, la soprano portugaise Elisabete Matos revient à Toulouse pour celui de la « princesse de glace ». Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle impressionne par la puissance et l'éclat de son aigu, qui lui permettent de dominer sans peine les ensembles. La chanteuse formée à Verdi et à Wagner assume les tensions et la longueur de phrase du dernier Puccini. Le récitatif « In questa reggia » pourrait sans doute être davantage vécu de l'intérieur, mais son interprétation va dans le sens de la mise en scène, qui ne laisse place à aucune humanité, même pendant le duo d'amour final, que les deux héros chantent face au public à dix mètres l'un de l'autre....de manière mécanique et sans y croire.

De son côté, le ténor coréen Alfred Kim campe un superbe « prince inconnu ». La voix est surtout d'une remarquable homogénéité, avec un aigu particulièrement percutant. On a sans doute entendu des Calaf plus raffinés (encore qu'il évite tout débordement), mais rarement d'aussi spontanés. Le public toulousain ne s'y trompe d'ailleurs pas, qui ovationne littéralement le chanteur.

Il aurait pu être difficile pour les autres interprètes de « trouver leurs marques » aux côtés de tels protagonistes. La soprano japonaise Eri Nakamura y réussit parfaitement, en incarnant une Liù au timbre radieux et aux aigus magnifiquement amenés. Elle récolte également un véritable triomphe au moment des saluts. In Sung Sim campe un noble Timur, capable de plier sa grande voix aux mesures du personnage. Le trio de ministres (Gezim Myskketa, Gregory Bonfatti et Paul Kaufmann) n'appelle aucun reproche, tandis que Luca Lombardo s'avère un luxe en Altoum (et a beaucoup de mérite de chanter dans un tel accoutrement !).

Mais nous avons gardé le meilleur pour la fin, la Maîtrise et le Chœur du Capitole, superbement préparés par Alfonso Caiani, et surtout la direction du suédois Stefan Solyom, à la tête d'un exceptionnel Orchestre national du Capitole. Le jeune chef déchaîne le tonnerre dans la fosse, fait implacablement monter la tension dans les finales (celui du I est un modèle de construction dramatique) et contraste, avec une habilité confondante, la couleur agressive de certains timbres instrumentaux chez les bois et les cuivres, avec la tendresse et la sensualité des cordes. Devant pareille perfection, on chavire et on finit par trouver des mérites au finale d'Aflano - version ici retenue, mais séparée de la partition du maître par un long précipité, après la mort de Liù.

Emmanuel Andrieu

Turandot de Giacomo Puccini au Théâtre du Capitole, jusqu'au 30 juin 2015

Crédit photographique © Patrice Nin

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