Recréation de The Indian Queen de Purcell à l'Opéra de Lille

Xl_20191003_indianqueen_0810__1_ © Frédéric Iovino

Au même titre que The Fairy Queen et King Arthur, The Indian Queen (1695) est un semi opera, habile amalgame entre théâtre, chant et intermèdes dansés. Que la partie parlée ait initialement fonctionné comme une pièce de théâtre à part entière, écrite trente ans auparavant par John Dryden et son beau-frère Robert Howard, a sans doute gêné Henry Purcell, qui ne semble pas être parvenu, ici, à obtenir un mélange aussi harmonieux que dans les deux titres précités (dont nous avons pu voir dernièrement une production du premier en Avignon et du deuxième à Genève). Pour cette nouvelle production à l’Opéra de Lille (en partenariat avec Opera Vlaanderen, le Théâtre de Caen et le Grand-Théâtre de Luxembourg), le metteur en scène flamand Guy Cassiers, qui s’est vu confier la mise en scène, et la cheffe française Emmanuelle Haïm ont, de ce fait, jugé opportun de remanier quelque peu l’ouvrage. Ils en proposent ainsi rien moins qu’une recréation, assurant à la musique une présence plus continue (avec des pièces de John Blow et Matthew Locke, soit une heure de musique à peu près, contre deux de texte parlé), mais en maintenant l’intégralité de la pièce de théâtre originale, dont il convient de résumer l’action au vu de la rareté de l’ouvrage.

Celle-ci a pour objet une imaginaire guerre entre Aztèques et Incas sur fond d’intrigues amoureuses. Le jeune général péruvien Montezuma fait prisonnier, au cours d’une bataille, le prince mexicain Acacis. Le chef des Incas l’invite à décider lui-même sa récompense. Montezuma lui demande alors la main de sa fille Orazia : audace si importante qu’il est obligé de fuir et de se réfugier chez l’ennemi mexicain. Plus tard, Orazia et son père sont capturés par les Mexicains. Entre-temps la reine des Mexicains, Zempoalla, tombe amoureuse de Montezuma. Elle consulte le mage Ismeron qui ne sait comment l’aider dans sa passion. Au moment où le chef des Incas, Orazia, et Montezuma doivent être immolés en sacrifice aux dieux, Acacis, fils de Zempoalla et amoureux d’Orazia, se suicide. On découvre alors que Montezuma est le roi légitime du Mexique, et le peuple l’acclame. Zempoalla met alors fin à ses jours et le chef des Incas peut enfin consentir au mariage de sa fille avec Montezuma.

Le travail de Guy Cassiers sur cette production nous semble comme l’un de ses plus aboutis, et il réussit la quadrature du cercle en faisant entrer en osmose l’univers théâtral, défendu par huit comédiens britanniques, et la partie musicale, dévolue à neuf chanteurs provenant également tous de la patrie de Shakespeare. Les deux registres se mêlent cependant rarement, notamment lorsque la reine Zempoalla va sonder le mage Ismeron sur un rêve prémonitoire qu’elle a fait. La scénographie se compose d’une série de cinq écrans de différentes tailles, qui bougent constamment dans l’espace : les images vidéos de Frederik Jassogne dédoublent l’action sur scène, on y voit les mêmes personnages déclamant les mêmes vers, mais vêtus différemment, très sobrement sur scène mais en revanche dans un esprit très Game of Thrones sur les vidéos. Dans les parties chantées ou muettes, ce sont souvent des images du photojournaliste mexicain Narciso Contreras qui imprègnent les écrans (et nos rétines), clichés insoutenables des ravages de la guerre, notamment au Moyen-Orient, rappelant aux spectateurs les atrocités dues aux conflits armés de tout temps.

L’ensemble de comédiens et chanteurs ne mérite que des éloges, pour leur talent autant que leur engagement. Côté théâtre, une mention spéciale doit cependant être adressée à l’encontre de la Zempoalla de Julie Legrand, un monstre de la pire espèce qu’elle finit par humaniser au moment de son sacrifice final. Les deux héros rivaux sont également superbement caractérisés, le mâle bodybuildé de James McGregor (Montezuma) s’opposant idéalement au beau et romantique Matthew Romain (Acacis). Côté chant, l’on démarquera en premier le magnifique baryton-basse Tristan Humbleton, pour la beauté et le mordant du timbre, aux côtés de la soprano Anna Dennis (Amexia), à la présence magnétique, et dont le bouleversant air final « So when glitt’ring Queen of Night » émeut aux larmes le public.

Dernier bonheur de la soirée, la baguette d’Emmanuelle Haïm à la tête d’un superbe Concert d’Astrée, capable à la fois d’une belle expressivité, d’une justesse absolue d’intonation, et d’une réserve dynamique tout à fait saisissante.

Emmanuel Andrieu

The Indian Queen de Henry Purcell à l’Opéra de Lille, jusqu’au 12 octobre 2019

Crédit photographique ©  Frédéric Iovino

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