Leonardo Garcia Alarcon magnifie King Arthur de Purcell à l'Opéra des Nations de Genève

Xl_king_arthur1 © Carole Parodi

Comme pour les autres semi-opéras de Henry Purcell (The Fairy Queen, Diocletian et The Indian Queen) – en fait des pièces de théâtre avec des interludes musicaux –, de King Arthur, on n’entend généralement que la moitié musicale. Or, par bonheur, l’Opéra des Nations de Genève (devenu ODN pour les intimes…) propose actuellement l’œuvre dans son entièreté, c’est-à-dire avec la quasi intégralité du texte – efficace à défaut d’être toujours subtil – du poète britannique John Dryden, en plus de la musique composée par Purcell. Au théâtre reviennent le discours (déclamé en français), l’action et l’avancée du temps ; à la musique sont dévolues des plages temporelles plus statiques. Ainsi présenté intégralement, ce King Arthur trouve une impeccable et paradoxale unité dans une mosaïque de registres (politique et bucolique, guerrier et amoureux, allégorique et magique) qui créent une merveille infinie de perspectives. Cet ouvrage devient alors l’un des plus fameux labyrinthes baroques dont le but ultime est d’égarer ses spectateurs et les faire chavirer de plaisir.

La trame en est à la fois simple et circonstanciée ; le Roi Arthur (imperturbable Simon Guélat) se bat contre le saxon Oswald (bondissant Thomas Scimeca) pour défendre son pays, puis récupérer sa femme Emmeline (évanescente Laure Aubert) enlevée par son rival. Les combats entre mortels vont trouver un élément de dynamisme dans l’intervention des auxiliaires surnaturels. Merlin l’Enchanteur et l’Esprit de l’Air rivaliseront d’astuce avec le sorcier Guillamar et l’esprit de la terre Grimbald. Un tel récit se prête de toute évidence à la reconstitution des fastes du théâtre d’époque et de ses machineries sophistiquées, mais pour cette mosaïque dramaturgique, le metteur en scène argentin Marcial Di Fonzo Bo a inventé – avec le concours de sa décoratrice Catherine Rankl – une scénographie fantastique et virtuose, où des toiles peintes inspirées de l’œuvre de Gustave Doré alternent avec des animaux empaillés (et maniés à vue), tandis que les costumes conçus par Pierre Canitrot – inspirés par l’heroic fantasy – sont un enchantement pour la rétine. Pour le reste, c’est bien du théâtre, où rien ne manque : combats et duels, monstres, bergers et bergères, forêts enchantées, et tout cela fonctionne sans temps mort.

Pas de répit pour les spectateurs ni pour les interprètes, qui sont amenés à faire preuve d’une exceptionnelle agilité physique, mentale, et vocale. Parmi la vingtaine de comédiens et de chanteurs, l’on y détachera le ténor anglais Ed Lyon (Prologue, Guerrier, Berger, Sylvain), très british, aussi convaincant dans l’éclat guerrier que dans l’élégie amoureuse. Le second ténor, le suédois Anders J. Dahlin (Prêtresse, Guillamar) n’enthousiasme pas moins, avec sa voix claire mais superbement projetée. La basse russe Grigory Shkarupa incarne un impressionnant Génie du Froid, et la fameuse cold song constitue le climax vocal de la soirée. De son côté, la soprano slovène Bernarda Bobro fait preuve d’un bel abattage dans le rôle concentré et périlleux de Cupidon. Avec son soprano clair et agile, sa consœur britannique Keri Fuge campe une parfaite Philidel. Un mot enfin pour le baryton très stylé du chanteur belge Ivan Thirion (Grimbald, Homme, Comus).

Mais le grand triomphateur de la soirée est bien le chef argentin Leonardo Garcia Alarcon (déjà dans la fosse de l’ODN l’an passé pour Il Giasone de Cavalli). Son travail dans King Arthur est tout simplement admirable, s’intégrant parfaitement à la pièce de Dryden et à la réalisation généreuse de Di Fonzo Bo, il a sa large part dans l’impeccable continuité musicale d’une soirée qui dure trois heures. Chaque tempo est évident, même celui, extrêmement distendu, du song final « Fairest isle » qui trouve toute sa légitimité ici. Pourtant assez peu fourni, l’orchestre sonne solidement, le continuo assuré par le chef lui-même est imaginatif, et si ce dernier dirige les ensembles dans nombre de moments chambristes, il laisse cependant chanteurs et instrumentistes cheminer ensemble. C’est un incroyable bonheur musical qu’il distille à la tête de sa formation, la magnifique Cappella Mediterranea

En conclusion, signalons que le Grand-Théâtre de Genève a profité de la Première pour annoncer sa saison 18/19 qui réserve quelques bonnes surprises, dont un Ring complet qui ne manquera pas d’attirer les wagnérophiles du monde entier !

Emmanuel Andrieu

King Arthur de Henry Purcell à l’Opéra des Nations de Genève, jusqu’au 9 mai 2018

Crédit photographique © Carole Parodi
 

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