Platée de Rameau selon Shirley et Dino au Théâtre National du Capitole

Xl__dsc0144 © Mirco Magliocca

Avec deux ans de retard sur le calendrier, le public du Théâtre du Capitole (depuis peu labélisé « National » !) peut enfin assister à cette mouture de la Platée de Jean-Philippe Rameau dans la mise en scène farfelue et drolatique du couple de comiques Gilles et Corinne Benizio… alias Shirley et Dino ! On connaît déjà leur travail dans l’univers lyrique pour avoir assisté à leur King Arthur, La Belle-Hélène ou le plus rare Don Quichotte chez la duchesse de Boismortier, et si la lettre de l’opus ramiste n'est pas toujours respectée, à l’instar des autres ouvrages déjà passés à leur moulinette, avouons que l’esprit décalé du chef d’œuvre du maître dijonnais l’est à chaque instant. Marécages de nos temps modernes, l’action est transposée dans une favela où règne une faune interlope (dont beaucoup de travestis et transsexuels), et où le fameux Corcovado carioca est surmonté non d’un Christ en majesté mais d’une statue de la déesse grecque Héra.

Il convient donc peut-être de rappeler l’histoire « originale » pour que le lecteur s’y retrouve. L’action – comme décrite dans le livret – se déroule dans un décor champêtre, avec comme toile de fond le mont Cithéron et en contrebas un marais de roseaux où la nymphe-batracienne Platée règne sur cet empire humide. Au début du II, ce n’est rien moins que Jupiter qui se présente, feignant, avec la complicité de Mercure et Cithéron, une irrépressible passion pour la grotesque naïade. Un divertissement mené par la Folie scelle les royales fiançailles à la fin de l’acte. Au troisième acte surgit Junon, ivre de colère à l’annonce de l’infidélité de son époux. Et c’est en arrachant le voile nuptial de la malheureuse Platée que l’épouse jalouse découvre l’énormité de la farce, en même temps que les traits ridicules de sa malheureuse « rivale ». Platée n’a plus qu’à exhaler sa colère, sous les moqueries des créatures du marais.

Comme à sa bonne habitude, Hervé Niquet se prête facilement au jeu des pitreries de ses deux compères, et donne volontiers de sa personne pendant le spectacle, comme le couple de comiques lui-même, ici grimé en couple de touristes norvégiens, ou là en régisseur de plateau. De son côté, Hervé Niquet harangue les spectateurs sur la présence éventuelle d’un roi dans la salle, et devant le silence de celle-ci, explique qu’il n’y aura donc pas de Prologue (celui-ci étant destiné à vanter les louanges du Roi) et qu’on ira directement à l’acte I… ce qui provoque la colère des machinistes mais aussi de chanteurs qui se voient privés de certains airs ! Plus délirant encore, sous prétexte que Rameau est l’auteur de la  fameuse chanson « Frère Jacques », il fait entonner la ritournelle à toute la salle en quatre chœurs distincts ! Mais il ne se cantonne pas dans un rôle de pitre, et la plus émouvante séquence de la soirée surgit quand, alors que le spectacle s’achève sur les pleurs de la nymphe ridiculisée, il sort de la fosse pour la rejoindre sur scène, et la consoler en la prenant tendrement dans ses bras.

La joyeuse équipe de danseurs du Ballet du Capitole (dirigée par Kader Belarbi) participe de la folie généralisée du spectacle, dont les chorégraphies empruntent autant aux ballets originaux du livret de Valois d'Orville qu’à des pièces « rajoutées », de la Danse des Heures de Ponchielli à certains airs de rumba ou de fandango, complètement exogènes bien sûr à la partition, mais qui provoquent l’hilarité des spectateurs tant le décalage anachronique est grand, et l'expression chorégraphique totalement tarabiscotée.

Une même joie et un même délire animent une équipe de chanteurs survoltés, comme la Folie de Marie Perbost, grimée ici en rockeuse au look grunge à souhait. Vocalement, elle livre une prestation étincelante, avec un médium charnu et un aigu scintillant. Dans le rôle-titre, l’excellent ténor ramiste Mathias Vidal campe une épatante Platée, tellement émouvant en jeune transgenre, version poupée blonde alla Marylin Monroe, avec un chant d’une rare élégance, un timbre clair et une diction tranchante. Excellent aussi, le Mercure de Pierre Derhet, dont la voix s’élève vers l’aigu avec aisance. De son côté, Jean-Vincent Blot a de la tenue en plus d’avoir les notes inférieures du rôle. Le Cithéron de Marc Labonnette a du punch à revendre tandis que le Momus de Jean-Christophe Lanièce ne se contente pas d’être impeccablement chanté, il se révèle désopilant et déchaîné en sosie d’Elvis Presley. Enfin, Lila Dufy est une Clarine sympathique, tandis que Marie-Laure Garnier se montre irrésistible en Junon jalouse et moqueuse.

À la tête de son Chœur et Orchestre du Concert spirituel, Hervé Niquet offre une lecture des plus vivantes de la géniale partition de Rameau, ce qui est un atout puissant dans une œuvre où les passages chorégraphiques sont légion. Le discours est toujours alerte, et les tempi équilibrés, ce qui est propre à exalter le jeu permanent des contrastes auquel se livre un musicien en avance sur son temps.

Emmanuel Andrieu

Platée de Jean-Philippe Rameau au Théâtre National du Capitole de Toulouse, jusqu’au 24 mars 2022

Crédit photographique © Mirco Magliocca

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