Phaéton de Lully embrase l'Opéra Nice Côte d'Azur

Xl_pha_ton_de_lully___l_op_ra_de_nice2 © Eric Oberdorff

Jean-Baptiste Lully est à nouveau à la mode et ses partitions reviennent à l’affiche à un rythme régulier. Ainsi, après Atys le mois dernier au Grand-Théâtre de Genève, c’est Phaéton qui est représenté à lOpéra Nice Côte d'azur. Comme le premier ouvrage, c’est Philippe Quinaut qui en a écrit le livret, et sa création eut lieu à Versailles, devant Louis XIV, le 6 janvier 1683. Le surintendant de la musique de la cour et directeur de l’Académie royale de musique était alors en pleine gloire. Pourquoi l’œuvre fut-elle aussitôt aimée et admirée au point d’être surnommée « l’opéra du peuple » ? Inutile de chercher : le livret est une merveille d’habileté dramatique, les sentiments sont vrais et justes, et la musique révèle une imagination sans cesse en mouvement. N’hésitons pas : on tient là l’égal du célèbre Atys, en efficacité théâtrale et en poésie musicale.

Le mythe est connu : fils de la mortelle Climène et du dieu Soleil, Phaéton voit un jour son illustre ascendance contestée par Epaphus, fils de Jupiter et d’Isis, devant lequel il refuse de céder. Sur les conseils de sa mère, il se rend alors auprès du Soleil afin de l’interroger sur l’origine de sa naissance. Le dieu, heureux de sa visite, lui confirme qu’il est son père et lui promet de lui accorder ce qu’il désire. Le jeune homme, bien que mortel par sa mère, demande alors à conduire pendant une journée le char du soleil dans les cieux, d’est en ouest. Son père le prévient des dangers qu’il encourt mais se voit obligé de céder. Une fois sur le char, après quelques instants de griserie, le jeune homme se révèle dépassé par la tâche. L’attelage s’emballe alors, ne suit plus le parcours habituel, et met le feu partout sur son passage. La Terre, embrasée, se plaint alors à Jupiter, qui foudroie en plein ciel le cocher téméraire !

La première satisfaction de la soirée niçoise est ce qui sort de la fosse. Le chef français Jérôme Corréas a mélangé des instrumentistes de son ensemble baroque Les Paladins (qui forment le continuo) à ceux de l’Orchestre Philharmonique de Nice, et le résultat est enthousiasmant. La direction musicale évite toute emphase, tout en s’interdisant le moindre temps mort, et la formation fait assaut de raffinement et de luminosité.

Un plateau très investi lui fait écho. Malgré une pointe d’accent américain, le ténor étasunien Mark van Arsdale réussit la difficile composition de cet anti-héros, dans une palette de sentiments contrastés. Et ce autant dans le jeu ardent que dans la gamme de nuances vocales, des éclats les plus percutants aux plus émouvants murmures, tel le sublime air final « La mort ne m’étonne pas ». Le baryton basque Gilen Goicoechea lui donne la très véhémente et persuasive réplique de son rival Epaphus, ce qui nous vaut un puissant duo du III « Songez-vous qu’Isis est ma mère ? ». Et Jean-François Lombard (également Triton et la Terre) déchaîne sans mesure les éclats de son Soleil – avec une certaine tension dans les aigus finaux – lors de son affrontement avec Phaéton à la fin de l’opéra. Après un début difficile avec Saturne, où la voix manque de projection pour parvenir jusqu’à la salle, la basse Frédéric Caton s’impose en revanche en Mérops, le roi d’Egypte auquel Phaéton doit succéder. Enfin, Arnaud Richard campe un formidable Protée (et Jupiter), idéal de mordant et de noirceur.

Côté féminin, on est séduit par la présence et l’aplomb vocal de la Lybie de Chantal Santon Jeffery, tandis que la soprano belge Deborah Cachet (annoncée souffrante sans qu’il n’en paraisse rien) se montre aussi touchante que charmante en Théone, notamment lors de son air du II « Il me fuit l’inconstant ». Enfin, Aurélia Legay offre à Clymène (et Astrée) son autorité naturelle, mais le vibrato se fait désormais envahissant. Chez tous, diction et prononciation sont de qualité, moins cependant pour le Chœur de l’Opéra de Nice, peu rompu à ce répertoire et dont la spatialisation dans les différentes loges d’avant-scène n’aide pas à l'homogénéité.

Danseur et chorégraphe, Eric Oberdorff s’appuie sur une équipe de sept danseurs (certains également circassiens), issue de la compagnie qu’il a fondée (La Compagnie Humaine), et qui est omniprésente ici (pas seulement dans les intermèdes dansés). Ils évoluent – ainsi que les chanteurs-comédiens – sur une tournette en forme de soleil, conçue par Bruno de Lavenère et qui a déjà été utilisée comme élément scénographique principal dans Akhnaten (autre ouvrage « solaire » s’il en est...), il y a deux mois sur cette même scène. Sur ce plateau dépouillé et plongé dans la pénombre la plupart du temps (à part lors de l’impressionant embrasement final !), les lumières de Jean-Pierre Michel créent les atmosphères et délimitent des espaces dans lesquels les protagonistes s’affrontent. La chaconne de la fin du II est à ce titre non seulement le passage musical le plus célèbre de la partition, mais aussi le plus intéressant pour la direction d’acteurs : une chorégraphie met en présence tous les principaux personnages, et par les liens qui se font et se défont, résume à elle seule toute l’intrigue… ingénieux !

Emmanuel Andrieu

Phaéton de Jean-Baptiste Lully à l’Opéra Nice Côte d’Azur (mars 2022)

Crédit photographique © Dominique Jaussein

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