Michael Thalheimer livre un Parsifal désespéré et sanglant au Grand Théâtre de Genève

Xl_parsifal_selon_michael_thalheimer_au_grand-th__tre_de_gen_ve © Carole Parodi

Signataire d’un retentissant Macbeth à l’Opéra Ballet des Flandres en juin 2019 (la dernière production de l’ère flamande d’Aviel Cahn avant son départ pour le Grand-Théâtre de Genève), le metteur en scène Michael Thalheimer propose une lecture tout aussi radicale de Parsifal, le testament lyrique de Richard Wagner. Comme pour le premier ouvrage, le sang est l’élément central sur lequel reposent son travail et sa réflexion. L’hémoglobine coule à flots dès le premier acte, dans lequel Gurnemanz apparaît le crâne rasé, se déplaçant avec des béquilles et dans une redingote ensanglantée. Après son long monologue, les chevaliers entrent sur scène (en claudiquant) dans la même tenue, et se mettent à barbouiller de sang les immenses parois de marbre blanc – les uniques éléments d’une scénographie particulièrement spartiate (signée Henrik Ahr), représentant sommairement le château de Monsalvat puis celui de Klingsor –, certains formant des croix sanguinolentes. « Wagner ou la douleur du monde », le titre des notes d’intention du programme de salle, résume bien ce qui nous est donné à voir : un monde en déshérence, frappé par quelques malheurs apocalyptiques, où règnent la souffrance et le désespoir. Au III, Gurnemanz apparaît encore plus mal en point, tandis que Kundry écrit – en lettres de sang – la phrase « Durch Mitleid wissend » (« Comprendre par la compassion »). Michael Thalheimer signe là une vision choc du chef d’œuvre de Wagner, qui reste longtemps dans la tête après la fin du spectacle.

Après avoir fait sensation in loco dans Guerre et Paix en 2021 (rôle de Pierre Bezukhov), le ténor suédois Daniel Johansson (grimé en ado mal fagoté au I puis en clown triste au III) renouvelle notre enthousiasme dans le rôle-titre de Parsifal, avec son timbre viril gorgé de clarté et de jeunesse, d’autant que l’émission ne trahit jamais l’effort, jusque sous la pression de ses élans les plus héroïques (fantastique « Nur ein Waffe taugt » !). La mezzo allemande Tanja Ariane Baumgartner offre une Kundry de la même eau, lui prêtant, pour commencer, une plastique physique avantageuse (dans sa superbe robe noire, puis rouge, et ses chaussures à talon), tout autant qu’une plastique vocale surnaturelle, avec un « Lachte ! » dardé comme un javelot d’airain, cri apprivoisé à faire trembler les murs ! De son côté, le baryton germano-koweïtien Tareq Nazmi bouleverse en Gurnemanz, y compris dans les longs récits du I et du III, qui peuvent pourtant vite se transformer en tunnels : il déploie une telle splendeur de timbre, une telle noblesse de phrasé, une telle variété dans les inflexions, que l’auditeur ne peut que succomber. Le baryton britannique Christopher Maltman incarne un Amfortas tout en souffrance brûlante, qui consume sa voix, tout simplement éblouissant d’intensité dramatique. Le Klingsor de Martin Gantner, grimé en rock-star hippie sur le déclin, n’a rien perdu de l'autorité qu'on lui connaît, tandis que William Meinert campe un puissant Titurel. Quant aux Filles-Fleurs, elles se montrent splendides, avec une mention pour la Seconde (Tineke van Ingelgemrécemment interviewée dans nos colonnes), les deux Chevaliers et les quatre Ecuyers n’appelant aucun reproche. Enfin, le Chœur du Grand Théâtre de Genève se montre, de bout en bout, exceptionnel de cohésion et de qualité de timbre.

La plus grande satisfaction de la soirée est néanmoins bien la baguette de Jonathan Nott, directeur musical et artistique d’un Orchestre de la Suisse Romande en état de grâce ce soir, qui s’avère littéralement être un rêve éveillé ! Dès le premier thème du Prélude, l’extraordinaire sostenuto que le chef britannique obtient des cordes annonce la couleur : tout est fouillé en tension, et chaque voix se pose, comme par miracle, sur un écrin orchestral d’un raffinement prodigieux. Et pourtant, sans jamais traîner, le temps apparaît comme aboli.

Heureux public de la Deutsche Opera am Rhein où cette coproduction, dont on ne sort pas indemne, poursuivra sa route !

Emmanuel Andrieu

Parsifal de Richard Wagner au Grand Théâtre de Genève, jusqu’au 5 février 2023

Crédit photographique © Carole Parodi

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