Maometto II, la beauté pure au Teatro dell'Opera de Rome

Xl_m_ii © Francesco Squeglia

Maometto Secondo représente l'ultime ouvrage que Gioacchino Rossini composa pour le San Carlo de Naples, après les éclatants succès remportés in loco par Elisabetta en 1815, Otello en 1816 (actuellement à l'affiche du TCE), Armida (1817), Mosè (1818) et La donna del lago (1819). Composé sur un livret que Cesare Della Valle avait écrit d'après sa propre tragédie Anna Ezio, Maometto II est créé le 3 décembre 1820 dans le prestigieux théâtre napolitain avec la star absolue du chant lyrique de l'époque, la mythique Isabella Colbran, dans le rôle d'Anna. Disparu assez vite de l'affiche après la révision (avec lieto fine) donnée à la Fenice de Venise pour le carnaval de 1823, Maometto devint, le 9 octobre 1826, Le Siège de Corinthe qui marqua les débuts de Rossini à l'Opéra de Paris. Traduit aussitôt en itlalien, c'est sous le titre d'Assedio di Corinto que l'œuvre de Rossini fit carrière ensuite, jusqu'à ce que le Festival de Pesaro ne ressuscite, pour son édition de 1985, la première mouture de l'opéra - partition originale que le Teatro dell'Opera de Rome proposait, ces jours derniers, en ses murs.

Ce qui frappe de prime abord, à son écoute, ce sont les saisissantes beautés qu'elle recèle, s'avèrant par ailleurs bien supérieure à l'édition française, où Rossini simplifie beaucoup son discours musical. Maometto II possède probablement beaucoup plus de hardiesse que n'importe quel autre opéra napolitain, non seulement dans l'exploitation des instruments (ici utilisés au complet et dans toutes leurs possibilités) mais aussi dans le choix même du sujet (une histoire d'amour au cœur de la guerre entre Vénitiens et Turcs au XVe siècle) où Rossini va à l'encontre des règles du mélodrame, ne serait-ce qu'à propos du suicide final d'Anna - supprimé dans la remouture vénitienne de 1823 et qui inspirera plus d'un opéra de Donizetti... - dans laquelle toute l'ambivalence de l'héroïne romantique qui choisit de se supprimer, obéissant à son devoir de patriote, renonçant à son amour coupable pour le Turc envahisseur, est une porte ouvrete sur le théâtre de Verdi. Musicalement les exemples que l'on pourrait prendre pour souligner l'importance de cette partition sont à citer à la pelle, de la prière extatique d'Anna « Giusto Ciel » à l'éblouissante page de Calbo « Non temere d'un basso affetto » précédée par une introduction orchestrale d'un effet saisissant, en passant par l'entrée de Maometto d'une fière et franche allure. Mais ce serait détruire en quelque sorte la beauté première de cet opéra dont la continuité bannit les numéros si agaçants dans ce type de répertoire, Rossini refusant l'accord final pour introduire aussitôt la mélodie suivante.

Cette composante essentielle de continuité, Roberto Abbado et Pier Luigi Pizzi - chef d'orchestre et metteur en scène du spectacle romain - l'ont bien intégrée, pour la reprise de cette production étrénnée à La Fenice de Venise en 2002. Le premier sait lier chaque phrase musicale dans une lecture tellement présente et tellement précise qu'elle ne laisse pas se relâcher l'attention du spectateur qui écoute un premier acte d'une heure et demie subjugué par cette musique coulant comme une source d'eau rafraîchissante, et par l'élégante sobriété d'un spectacle où tout semble dicté par la musique et seulement par elle. Roberto Abbado – neveu du regretté Claudio – sait aussi faire partager à son auditoire son visible amour pour cette musique, apportant cette note de jouissance sensorielle qui est le secret même de l'esthétique rossinienne.

Pizzi l'a énormément aidé dans son propos. Dans une scénographie (unique) rigoureuse et dépouillée qu'il a lui-même signée, le célèbre homme de théâtre italien est allé à l'essentiel, avec un goût d'une sûreté qui ne cesse de surprendre. Sa mise en scène, habilement intégrée au dispositif scénique, respecte la musique et dialogue avec les racines culturelles de l'œuvre. Le jeu savant des lumières (conçues par Vincenzo raponi) et la beauté palpable des costumes (que Pizzi signe également), rouges pour Maometto et ses turcs, blancs pour Anna et ses suivantes, sont soulignés par le port impeccable des chanteurs, qui ne semblent même plus sur scène tant ils vivent le drame avec vérité.

Ainsi l'autorité et la présence scénique de la formidable basse italienne Roberto Tagliavini (Maometto) qui allie à une puissance dramatique constante, un art consommé de la vocalisation rapide. En se jouant de manière si déconcertante des difficultés techniques de son rôle, il apparaît comme un plausible successeur au grand Samuel Ramey. Dans la partie de Calbo, Alisa Kolosova rend la dignité qui sied à son personnage, grâce à une authentique noblesse d'accent et de geste. Confrontée à ce rôle, l'un des plus vertigineux jamais écrits par Rossini, la mezzo russe sort triomphante, jouant franc jeu avec une tessiture qui l'oblige à pousser sa voix aux limites extrêmes de son grave et de son aigu. Quant au ténor argentin Juan Francisco Gatell, il possède l'insolence requise par Paolo Erisso, le père d'Anna, et surtout un medium étoffé qui débouche sur un aigu éclatant.

Quant à Marina Rebeka (Anna) - si elle n'a certes pas la voix de Colbran, véritable soprano coloratura dramatique à la limite du mezzo -, elle connnaît bien les règles du chant. Avec une musicalité qui ne lui fait jamais défaut, elle sait mettre en relief l'élégance de son phrasé, ainsi que la beauté de sa ligne mélodique. Entièrement sur le souffle, son « Giusto ciel » montre les possibilités d'une émission qui, dans le registre extatique, peut faire merveille. Enfin, dans l'écrasante scène finale, la soprano lettonne sait faire ressortir tout le fatalisme tragique et la profonde résignation d'un personnage voué à la mort. Ce n'est pas le moindre de ses mérites.

Emmanuel Andrieu

Maometto Secondo au Teatro dell'Opera de Rome

Crédit photographique © Francesco Squeglia

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