L'Opéra Royal de Wallonie ressuscite Le Domino noir de Daniel-François-Esprit Auber

Xl_le_domino_noir1 © Lorraine Wauters

L’Opéra Royal de Wallonie, qui avait déjà redonné sa chance à Manon Lescaut il y a deux saisons, ressuscite – en coproduction avec l’Opéra-Comique où l’ouvrage sera repris à la fin du mois – une nouvelle rareté de Daniel-François-Esprit Auber. Particulièrement célèbre jusqu’au début du XXe siècle (avec plus de 1200 représentations entre 1837 et 1909 !), Le Domino noir a ensuite connu une longue éclipse. Mais voilà l’oubli réparé !

L’injustice faite aux très nombreux opéras du compositeur français s’explique par la rumeur qu’Auber serait un artisan inspiré, voire un habile technicien, plutôt qu’un novateur. Voire… c’est oublier que La Muette de Portici – judicieusement remise à l’affiche de l’Opéra-Comique en 2012 (et chroniquée à l'époque par notre confère Alain Duault) – devint en 1828 le prototype du grand-opéra, réunissant tous les arts du spectacle. Auber fut aussi parmi les premiers à se soucier de la couleur locale, empruntant nombre de motifs espagnols traditionnels pour Le Domino noir.

L’intrigue débute au cours d’un bal masqué chez la reine d’Espagne, où un gentilhomme très passionné, Horace de Massarena, a reconnu sous son domino noir la belle Angèle, dont il est épris, et qui n’est pas insensible à ses charmes non plus. Mais quoique noble, riche et célibataire, l’inconnue ne peut répondre à cet amour, car elle doit sous peu prononcer ses vœux et devenir Abbesse du couvent de l’Annonciation à Madrid. Après moult rebondissements en tous genres, une lettre de la reine est dévoilée in extremis qui ordonne à Angèle de prendre un époux au lieu du voile, pour le plus grand bonheur des tourtereaux !


Cyrille Dubois (Horace de Massarena) et Anne-Catherine Gillet (Angèle de Olivarès) ;
© Lorraine Wauters - Opéra Royal de Wallonie


Laurent Montel (Lord Elfort) ; © Lorraine Wauters - Opéra Royal de Wallonie

Pour leur première mise en scène lyrique, le duo formé par Christian Hecq et son épouse Valérie Lesort ne va pas chercher midi à quatorze heures, et suit fidèlement le livret imaginé par Eugène Scribe, loin de toute transposition et relecture hasardeuses. L’impulsion et le rythme soutenu de la proposition scénique qui lorgne parfois vers les Deschiens par son humour décalé (le cochon de lait qui se réveille quand il s’agit d’être découpé en tranches !), bénéficient par ailleurs des décors aussi imposants qu’habiles du talentueux Laurent Peduzzi, et plus encore des incroyables coiffes zoomorphes conçues par Vanessa Sannino (photos ci-contre).

Dans le rôle-titre, la soprano liégeoise Anne-Catherine Gillet – applaudie l’an passé dans La Chauve-Souris à Marseille et Don Giovanni à Lausanne – rend parfaitement justice au personnage d’Angèle tant par l’étendue de la voix que par son tempérament hors-pair. La classe malicieuse de sa féminité, la sensualité dont elle teinte sa voix au fur et à mesure de ses transformations et la délicatesse de son phrasé sont les marques de son grand talent. De talent, l’excellent Cyrille Dubois n’en manque pas non plus et l’on ne sait qu’admirer le plus chez le jeune ténor normand : l’élégance de la ligne, la suavité du timbre, la perfection de la diction tant dans les parties chantées que parlées, ou encore la fraîcheur du jeu scénique. Antoinette Dennefeld apporte son incroyable présence ainsi que sa voix ronde et chaude au personnage de Brigitte, tandis que François Rougier offre son ténor sonore au Comte Juliano. Figure tout droit sortie d’un tableau de Botero, Marie Lenormand campe une hilarante Jacinthe, quand Laurent Montel ne lui cède en rien, en terme de drôlerie, avec son pittoresque Lord Elfort, à l’inimitable accent britannique. Une mention, également, pour le Gil Perez croustillant de Laurent Kubla et pour l’Ursule revêche de la grande Sylvia Bergé, excusée de la Comédie-Française dont elle est une des Sociétaires.

Enfin, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège en grande forme, le chef belge Patrick Davin dirige avec un sens infaillible des dynamiques, des niveaux sonores, et des petites touches d’émotion qui exaltent la joie et la stupeur provoquées par l’invention musicale.

Emmanuel Andrieu

Le Domino noir de Daniel-François-Esprit Auber à l’Opéra Royal de Wallonie, jusqu’au 3 mars (puis à l’Opéra-Comique du 26 mars au 5 avril)

Crédit photographique © Lorraine Wauters

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