La Muette de Portici d’Auber, à l’Opéra-Comique (avril 2012)

Xl_muette © Opéra Comique

Jamais redonnée à Paris depuis 1882, La Muette de Portici d’Auber a pourtant enflammé les publics depuis sa création en 1828 (allant même jusqu’à déclencher la révolution en Belgique, en 1830, après que le public se soit senti emporté par le duo « Amour sacré de la patrie » !...). C’était d’ailleurs un des opéras préférés de Wagner et son influence sur ce qu’on a appelé le « grand opéra à la française » a été déterminante, annonçant La Juive d’Halévy et les chefs-d’œuvre de Meyerbeer, Robert le Diable ou Les Huguenots. On ne peut donc que saluer l’initiative de Jérôme Deschamps de monter La Muette de Portici (en coproduction – ironie de l’Histoire – avec le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles !), encore qu’on puisse s’interroger sur le choix de l’Opéra-Comique (une petite scène, à peine 10 mètres d’ouverture, et une contenance faible) pour restituer les fastes du « grand opéra »… Mais ne boudons pas le plaisir de cette résurrection, quelles que soient les réserves qu’on peut éprouver sur cette production.

La particularité unique de l’ouvrage réside dans le fait que le rôle-titre est… muet, ce qui, pour un opéra, est pour le moins inhabituel. Mais cette infirmité constitue un des ressorts dramatiques essentiels de la pièce – qui raconte donc l’histoire d’une malheureuse fille de pêcheur, muette donc, Fenella, séduite par le fils du Vice-Roi puis abandonnée par le même quand celui-ci a rencontré Elvire, qu’il va épouser. Conflit intime et conflit social donc mais aussi opposition politique entre les pêcheurs et leur chef, Masaniello, le père de Fenella, d’une part et d’autre part Alphonse, le fils du Vice-Roi et sa femme Elvire. De trahisons en coups de théâtre (avec même une éruption du Vésuve comme doigt du destin !), La Muette de Portici multiplie les scènes colorées (comme le très réussi marché de Naples) et les effusions entre frère et sœur, entre conjurés, entre épousés. Tout avance à un rythme haletant, enchainant airs, ensembles, chœurs et danses (très présentes pour rythmer l’action) et on comprend la folie des spectateurs du XIXème siècle pour cet ouvrage – en même temps qu’on ne comprend pas sa disparition depuis plus d’un siècle. Nombre de pages y sont en effet splendides, de l’impressionnant air d’Elvire à la barcarolle et la cavatine de Masaniello en passant par le fameux duo « Amour sacré de la patrie », sans oublier les chœurs, celui du marché en particulier.

La mise en scène présentée à l’Opéra-Comique, signée de la grande dramaturge italienne Emma Dante, souffre bien sûr de l’étroitesse du plateau et de quelques naïvetés de conception mais propose pourtant une vision cohérente de l’œuvre tout à fait adéquate pour la découvrir, même si l’on eût pu attendre une direction d’acteurs plus fouillée… Dirigée avec ardeur par le jeune chef Patrick Davin, un peu débordé parfois par la sonorité très ouverte de la fosse, la distribution est plutôt homogène sans être exceptionnelle, certaines voix semblant à la limite de leur possibilité, celle de Michael Spyres en Masaniello par exemple dont le beau timbre clair de ténor s’essouffle au bout de la cavatine « Du pauvre seul ami fidèle », ou celle d’Eglise Guttierez en Elvire (mais elle a fait annoncer qu’elle était souffrante). En revanche, on reste sidéré par la composition époustouflante de la comédienne Elena Borgogni dans le rôle de Fenella, la muette. Torche vivante (d’autant qu’elle est toute entière vêtue de rouge et qu’elle joue en permanence avec une grande écharpe de soie rouge, censée lui avoir été offerte par le fils du Vice-Roi et qui est donc le symbole tout à la fois de son amour et de son infortune), elle enflamme la scène avec une ardeur peu commune, bondissant, se tordant, sautant, s’écartelant, à la fois danseuse et possédée : c’est saisissant !

Au total, une recréation bienvenue dont les réserves qu’elle peut susciter ne sont que des bémols au regard d’une satisfaction globale que l’accueil du public manifeste avec chaleur.

Alain Duault

La Muette de Portici d’Auber, à l’Opéra-Comique
Jusqu'au 15 avril 2012

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