Les Troyens (La Prise de Troie) au Grand-Théâtre de Genève

Xl_troyens © Magali Dougados

Après avoir offert à son public une superbe version scénique des Troyens d'Hector Berlioz en 2007, le Grand-Théâtre de Genève opte cette fois pour une version de concert, avec la solution discutable de découper en deux la fresque berliozienne : La Prise de Troie ce soir, et Les Troyens à Carthage deux jours plus tard. Entre les deux, dans le cadre d'un mini cycle consacré à la guerre de Troie, est présentée une nouvelle production de La Belle Hélène (signée par Robert Sandoz) qui démarre sur les chapeaux de roue mais retombe vite comme un soufflé, et dont seule l'immense artiste qu'est Véronique Gens tire son épingle du jeu, pour ce qui est de la partie vocale.

Quant aux chanteurs de cette Prise de Troie, on ne répétera jamais assez combien Les Troyens sont les héritiers de Rameau et de Gluck. L'exigence du style, la déclamation et la noblesse sont ici essentielles, des qualités qui ne sont malheureusement pas partagées par tous ce soir, du moins par le ténor anglais Ian Storey qui pousse loin l'esthétique de la vocifération. Enée est certes l'un des rôles les plus difficiles à distribuer, mais être à ce point incapable de chanter autrement que fortissimo (avec un fort accent britannique qui plus est) devrait obliger un théâtre à réfléchir avant de se lancer dans pareille aventure. Mais par bonheur, La Prise de Troie c'est avant tout la figure de Cassandre, et là Genève a eu la main heureuse en confiant le rôle à la soprano américaine Michaela Martens. Grave et retenue dans son récitatif d'entrée, sa Cassandre croît graduellement dans l'hallucination pour atteindre, au moment du suicide des femmes troyennes, un sommet de véhémence et d'intensité qui reste toujours musical, doublée d'une diction très naturelle. Enfin, Tassis Christoyannis chante un Chorèbe de luxe, élégant et charnu, tandis que Brandon Cedel campe un Panthée impérieux et Sami Luttinen une Ombre d'Hector sépulcrale à souhait.

La Prise de Troie est également une œuvre chorale, et les forces du Grand-Théâtre de Genève se montrent à la hauteur de l'enjeu, unissant perfection de l'articulation et flamboyance des couleurs, avec un engagement stupéfiant. Un bonheur que prolonge un Royal Philharmonic Orchestra en état de grâce, dirigé par le chef suisse Charles Dutoit dont on connaît les affinités avec les ouvrages du divin Hector. Sa lecture symphonique de la partition, d'une étonnante justesse expressive dans l'intériorité comme dans le flamboiement, le montre aussi constamment attentif aux interventions des solistes : il est le maître d'œuvre absolu de cette belle soirée berliozienne.

Emmanuel Andrieu

La Prise de Troie de Berlioz au Grand-Théâtre de Genève – le 15 octobre 2015

Crédit photographique © GTG / Magali Dougados

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