Les Troyens de Berlioz inaugure le mandat de Hein Mulders à l'Oper Köln

Xl_isabelle_druet_dans_les_troyens___l_oper_k_ln © Mathhias Jung

Après neuf années de bons et loyaux services passées à la tête de l’Opéra d’Essen, le très francophile Hein Mulders (il a fait l’école du Louvre à Paris) prend les rênes de celui de Cologne en inaugurant son mandat avec Les Troyens d'Hector Berlioz. Déjà à Essen, il avait beaucoup fait pour le Grand Opéra français en montant notamment des ouvrages de Meyerbeer, tel Le Prophète auquel nous avions eu la chance d’assister à l’Aalto Musiktheater (avec John Osborn dans le rôle-titre). Et, on le sait, Les Troyens sont une œuvre rare en raison des moyens colossaux requis pour lui rendre justice, et c’est donc affirmer toute l’ambition que nourrit Hein Mulders pour l’opéra de la quatrième ville d’Allemagne que de monter – en y mettant les moyens nécessaires, pour un spectacle durant près de cinq heures – ce qui demeure à nos yeux le plus grand chef-d’œuvre du répertoire lyrique français.

En attendant la réouverture de l’opéra historique du centre-ville (prévue pour 2024, après huit ans de travaux !), c’est donc toujours la StaatenHaus, ancien Palais des expositions situé sur l’autre rive du Rhin, qui abrite provisoirement les représentations lyriques, comme en mai dernier lorsque nous y avions vu une superbe Rusalka. Placé à jardin dans cette production, c’est au centre même de l’espace scénique que trône cette fois l’orchestre, tandis que le metteur en scène allemand Johannes Erath et sa scénographe Heike Scheel ont imaginé un immense cercle le ceinturant, anneau mobile sur lequel évoluent les personnages. Une immense tête de marbre de déité grecque gît derrière cette structure, qui sert ainsi de porte d’entrée et de sortie aux protagonistes (et aux figurants), pris dans un ballet incessant – qui est plutôt ici une lente course vers l’abîme. Des éléments antiques alternent avec d’autres plus prosaïques et contemporains, telle cette baignoire d’où émerge Didon, au III, quand elle ne se prélasse pas, à jardin, dans un canapé de style Empire. De même, les costumes (signes également par Heike Scheel) mélangent allégrement les époques, tantôt antique, tantôt contemporaine, en passant par les années folles. Respectant le choix de spatialisation du son voulu par Berlioz, les choristes – ainsi que certains cuivres – interviennent depuis différents endroits de la salle, parfois derrière le public. Climax musical de la soirée, le duo « Nuit d’ivresse et d’extase infinie », au IV, s’avère aussi le meilleur moment théâtral, quand l’orchestre se met à tourner dans le sens inverse du cercle, conférant à ce passage une dimension toute cosmique.

En alternance avec Enea Scala, le ténor allemand Mirko Roschkowski (déjà entendu dans le rôle-titre au Festival Berlioz l’an passé) possède à la fois la vaillance et la légèreté qu’appelle Enée, n’escamotant ni l’Ut de son grand air (« Inutiles regrets »), ni les nuances pianissimo du fameux duo d’amour. Didon dans la production iséroise, Isabelle Druet aborde cette fois Cassandre, en lui conférant une extraordinaire intensité dramatique, en même temps que des moments de pure beauté vocale. Plus femme que reine, la mezzo italienne Veronica Simeoni ose toutes les passions sans jamais renoncer à la maîtrise du chant, ainsi qu’au soin apporté à la diction et au lyrisme exigé par la musique. Le baryton coréen Insik Choï est un Chorèbe à la déclamation parfaite, alors que la mezzo colombienne Adriana Bastidas-Gamboa fait sensation en Anna, avec un timbre d’une beauté, d’une sensualité et d’une opulence rares (mais la diction s’avère perfectible). La jeune soprano italienne Giulia Montanari incarne un Ascagne plus qu’honorable quand Nicolas Cavallier campe un Narbal d’une superbe autorité et d’un style irréprochable. De leurs côtés, Dmitry Ivanchey (Iopas) et Young Woo Kim (Hylas) cisèlent chacun leur air avec toute l’élégance qu’il requiert, tandis que les nombreux comprimari n'appellent aucun reproche. Enfin, parfaitement préparé par Rustam Samedov, le chœur maison se couvre de gloire dans un ouvrage où il est particulièrement sollicité.

Dirigeant la partition intégrale et finale telle que validée par Berlioz (incluant toutes les reprises et les ballets), François-Xavier Roth – en chef berliozien émérite qu’il est – porte à bout de bras la soirée. Magistralement suivi par ses musiciens du Gürzenich Orchester, dont il est le directeur musical, il fait entendre une direction toujours fluide, soucieuse du relief instrumental, plus lyrique que dramatique, qui réserve de très grands moments, comme l’octuor du I, magnifiquement articulé. Il parvient surtout à équilibrer fracas et intimisme, éclat et transparence, et c’est à lui et sa formidable phalange que le public adresse, de manière amplement méritée, les applaudissements les plus bruyants.

Emmanuel Andrieu

Les Troyens d’Hector Berlioz à l’Opéra de Cologne, jusqu’au 15 octobre 2022

Crédit photographique © Matthias Jung

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