Le triomphe de Giuliana Gianfaldoni dans Beatrice di Tenda de Bellini à Martina Franca

Xl_beatrice_di_tenda_de_bellini_au_48_me_festival_della_valle_d_itria © Clarissa Lapolla

Pour sa 48ème édition, le Festival Internazionale della Valle d’Itria n’a pas été épargné par la septième vague de Covid. Fabio Luisi, directeur musical de la manifestation apulienne, a ainsi dû laisser la place au jeune et sémillant chef italien Michele Spotti (récemment interviewé dans ces colonnes) qui a eu moins d’une semaine pour apprendre la partition de l’avant dernier opéra de Vincenzo BelliniBeatrice di Tenda, donné deux soirs sous format concertant dans la cour du Palazzo Ducale de Martina Franca. Créé en mars 1833 au Teatro La Fenice de Venise, c’est un ouvrage assez particulier en ce qu’il ne comprend des arie que pour seulement deux des protagonistes, Beatrice et le duc Filippo, respectivement créés par Giuditta Pasta et le baryton Orazio Cartagenova, alors qu’Agnese ne chante qu’une courte romance tout au début et n'appparaît, comme le ténor qui chante le rôle d’Orombello, que dans les duos et les ensembles. Cette structure est assez rare dans l’opéra italien du début du XIXème siècle pour être relevée, et elle serait due au fait que Bellini avait peu d’estime pour le ténor Alberico Curioni et la mezzo Anna del Sere, auxquels furent dévolus les rôles – la deuxième étant restée célèbre pour s’être battue avec Giuseppina Ronzi de Bregnis lors de la création de Maria Stuarda de son confrère Donizetti, peu de temps auparavant, au Teatro di San Carlo de Naples !

L’ouvrage a été ressuscité dans les années 1960, quand Leyla Gencer et Joan Sutherland s’emparèrent du rôle-titre qui permet à une chanteuse de briller – tant par la difficulté technique de ses airs que par le fait que l’opéra repose entièrement sur elle (et sur son brutal mari, mais dans une moindre mesure cependant). En confiant cette partie à la jeune soprano italienne Giuliana Gianfaldoni, Sebastian F. Schwartz (le nouveau directeur artistique du festival) a eu la main particulièrement heureuse. Car cette belle artiste, particulièrement applaudie au festival de Pesaro il y a deux ans dans le répertoire rossinien, confirme ici sa maîtrise du chant legato spianato et parvient à conférer à sa ligne les intonations lunaires belliniennes (son air d’entrée « Ma la sola ohimé »), grâce à une intonation piano/pianissimo d’un effet absolument irrésistible. En revanche, les cabalettes qui exigent la puissance d’une soprano dramatique capable d’affronter Norma (inscrite dans la même vocalité) se montrent moins impressionnantes et convaincantes, mais la musicienne apparait néanmoins sans reproche, parfaitement consciente de l’utilisation qu’elle peut faire de ses moyens (actuels). Cette souris qui parvient à accoucher d’une montagne ne peut que susciter notre admiration – et celle d’un public qui lui fait un triomphe après son magnifique air final « Deh! Se un'urna è a me concessa » !

Ce n’est pas nouveau, le ténor canarien Celso Albelo ne possède pas vraiment la chatoyance du ténor bellinien, comme l’ont prouvées ses participations plutôt catastrophiques dans I Puritani à Montpellier en 2017 et dans Il Pirata à Monte-Carlo en 2020. Son timbre (plutôt nasal) et son chant (en général tutta forza) manquent de cet abandon poétique et rêveur que l’on retrouve chez Elvino et Arturo. Ce soir, cependant, le chanteur fait des efforts pour ne pas trop brutaliser la ligne, et s’essaie même à quelques envolées élégiaques dont on ne le croyait pas capable. C’est une belle découverte que le baryton italien Biagio Pizzuti (dans le rôle de Filipo), même si ce dernier manque en revanche de la principale qualité du premier, à savoir la puissance. Il manque également du mordant nécessaire que requiert ce personnage aussi détestable que cruel, malgré les doutes qui l’assaillent au moment d’envoyer à la mort son épouse innocente, Bellini ayant écrit pour lui une musique toute chargée de touchante mélancolie dans l’air « Qui mi accolse oppresso, errante ». Une superbe aria qui permet de goûter à la technique aguerrie du chanteur, à la beauté d’un timbre empli de morbidezza, et à la musicalité de sa ligne de chant. De son côté, la mezzo allemande Theresa Kronthaler, avec un timbre trop clair et une émission par trop confidentielle, ne parvient à tirer son personnage d’Agnese de l’anonymat.

Avec si peu de préparation, le travail réalisé par Michele Spotti sur l’Orchestre du Teatro Petruzzelli de Bari s’avère d’autant plus exceptionnel. Il parvient à animer l’intrigue (un peu poussive) par une direction ardente qui privilégie tempi rapides et sonorités assez vives, sans pour autant négliger de valoriser le style et l’esthétique de Bellini, fondés sur son caractéristique cantabile. Le résultat s’avère donc remarquable, grâce aussi à la contribution d’une phalange (et d’un chœur) toujours attentif et efficace.

Emmanuel Andrieu

Beatrice di Tenda de Vincenzo Bellini au 48ème festival de la Valle d’Itria, le 26 juillet 2021

Crédit photographique © Clarissa Lapolla

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