Le Tour d'écrou au Grand-Théâtre de Tours

Xl_le_tour_d__crou_op_ra_de_tours_mars_2014___fran_ois_berthon__4895 © François Berthon

Après avoir été étrénnée à l’Opéra national de Bordeaux en 2008, c’est au Grand-Théâtre de Tours que cette formidable production du Tour d’écrou - signée par Dominique Pitoiset - fait escale. Opéra de chambre écrit pour six voix et un ensemble de treize instrumentistes, le huitième opus lyrique de Benjamin Britten a été accueilli très favorablement dans la cité des bords de Loire, et force est de reconnaître que le spectacle est une absolue réussite.

L’œuvre repose sur quelques-uns des thèmes chers à Britten, relatifs à la confrontation entre le monde de l’adolescence et celui des adultes, baignant dans une atmosphère trouble. Et si l’histoire, racontant la lutte pour l’emprise sur des enfants (Miles et Flora) que se livrent la Gouvernante et Mrs Grose d’une part, Quint et Miss Jessel (les « fantômes ») d’autre part, n’existait finalement que dans l’imagination de la Gouvernante? Une question laissée en suspens, tant par Henry James – dont la nouvelle est à la base de l’opéra – que le librettiste Myfanwy Piper et Benjamin Britten lui-même. 

Dominique Pitoiset - directeur du Théâtre national de Bordeaux Aquitaine - transpose l’action dans le salon cosy d’une maison bourgeoise des années soixante. L’atmosphère générée par la scénographie – également conçue par Pitoiset - est particulièrement pesante, et elle provoque un sentiment d’enfermement et d’asphyxie qui étreignent vite le spectateur. Ici, nulle scène du Lac, de la Tour ou du Jardin (comme décrits dans le livret) qui permettraient une certaine « respiration », mais seulement l’espace clos d’une pièce unique ; certes la grande baie vitrée donne sur un jardinet, mais il est lui-même ceint par un haut mur de briques. Pitoiset dit s’être inspiré de l’univers des films de Bergman et de Hitchcock pour restituer l’ambiance oppressante et le climat de claustrophobie inhérents à la nouvelle de Henry James...ce en quoi il a parfaitement réussi !

La distribution vocale est par ailleurs parfaitement choisie. Isabelle Cals, par exemple, a toutes les qualités de clarté, de délicatesse dramatique, d'engagement et de retenue à la fois qu'exige le rôle très fouillée de la Gouvernante, en réalité le révélateur de l'opéra. Jamais on ne la surprend en flagrant délit de complaisance, son air « How beautiful he is » est abordé dans l'émerveillement, et c'est à la faveur d'un conflit toujours vocal, ne cédant jamais au pathos, qu'elle affronte le personnage spectral de Peter Quint. Jean-Francis Monvoisin, comme une certaine tradition le permet, chante les deux emplois du Prologue et de Quint. Il joue la carte d'une austérité menaçante qui, peu à peu, bascule dans le fantastique à mesure que Quint se révèle être l'âme démonique de l'histoire, en déployant toutes les nuances permises par la souplesse de la langue anglaise et en se jouant, surtout, des arabesques vocales que lui impose sa partie.

Apparaissant la première fois dans la travée latérale du théâtre, Cécile Perrin campe une formidable Miss Jessel, qui donne froid dans le dos. Aussi diabolique que son alter ego masculin, on admire aussi sa voix puissamment impactée. Hanna Schaer enfin – également présente dans l’édition bordelaise (mais aussi dans l’incontournable production de Luc Bondy à Aix-en Provence en 2001) – compose une Mrs Grose à la fois aimante et intensément tragique. Son timbre de voix, toujours plein de superbe, demeure inaltéré malgré les ans qui passent, pour notre plus grand bonheur. Une mention, enfin, pour Samuel Mallet dont la parfaite intelligibilité de diction et le naturel scénique force l'admiration dans Miles, tandis que Louise Van der Mee, en Flora, possède aussi une réelle ambiguité.

La direction d'un lyrisme délicat de la talentueuse chef française Ariane Matiakh, à la tête de treize excelllents instrumentistes issus de l'Orchestre Symphonique Région Centre-Tours, appporte à la partition de Britten une émotion et une sensibilité qu'on avait un peu oubliées, avec des lectures plus analytiques. On savoure par ailleurs la progression dramatique qu’elle parvient à insuffler à la phalange maison, dans un crescendo qui ne dément pas le titre de l’œuvre.

Un spectacle d'une grand force émotionelle.

Emmanuel Andrieu

The Turn of the screw au Grand-Théâtre de Tours

Crédit photographique © François Berthon

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