Iréne Theorin, Turandot de feu au Festival Castell Peralada

Xl_turandot © Toti Ferrer

Pour son trentième anniversaire, le Festival Castell Peralada – et son directeur Oriol Aguila – a retenu un des titres favoris du grand public, Turandot de Giacomo Puccini, confié au metteur en scène hispano-urugayen Mario Gas. Gentiment illustrative, sa proposition scénique se contente d’ordonner les déplacements des chœurs autour d’un palais, représenté par l’élégant assemblage de sa structure boisée. Déplacements contraints, tant ce décor occupe l’espace, d’autant plus qu’il est parfois amené à tourner sur lui-même. pour se donner de l’espace, le metteur en scène utilisera l’avant-scène, les ministres évoluant devant le rideau, ou bien les côtés, là encore pour permettre aux exécuteurs des basses œuvres de… hacher placidement des poulets, au moment où l'on essaie d'extorquer à Liù son secret. A l’arrière, se dessine la rondeur d’un gong, peut-être d’un soleil ou mieux encore d’une pleine lune, rouge profond en rappel du sang versé, puis bleu nuit pour symboliser la frigidité de Turandot. C’est dire qu’il ne se passe pas grand-chose, d’autant plus que la direction d’acteurs est réduite à l’essentiel, Calaf demeurant le plus souvent statique, tandis que le rôle-titre, ensaché dans un joli costume traditionnel, se contente de poses hiératiques. A peine est-on surpris de voir d’un coup surgir quelques danseuses discrètement effeuillées, censées subvertir Calaf, érotisme à la papa qui n’émeut plus guère aujourd’hui. Mais soudain, et dans tous les sens du terme, voici le coup de théâtre : après la mort de Liù, la scène se vide et une voix off rappelle que c’est ici que Puccini cessa d’écrire, le final appartenant à Alfano. Contraste immédiat : la fin de l’œuvre se déroule en version de concert, chaque chanteur ayant revêtu une tenue de soirée. L’idée est brillante à cela près qu’elle met en évidence le peu d’inspiration d’Alfano, et démontre combien la grande scène d’amour conclusive est peu crédible.

En Turandot, la soprano suédoise Iréne Theorin – bien connu des mélomanes pour ses incarnations wagnériennes, et on garde en mémoire, à titre personnel, son ardente Brunnhilde au Liceu de Barcelone en 2014 – témoigne de moyens exceptionnels et d'un tempérament de feu (plus que de glace). Après un ou deux aigus difficiles, la voix se détend, se colore, s'enrichit, et réalise des prouesses avec une intrépidité confondante, dans une magnifique correspondance du timbre avec le caractère surhumain du personnage. Elle ne trouve malheureusement pas en Roberto Aronica un partenaire à sa hauteur, le ténor italien se cantonnant – comme à son habitude – dans un chant musclé et avare de nuances. Quant à la soprano mexicaine Maria Katzarava, nous retrouvons avec sa Liu les qualités qui faisaient d'elle une grande Marguerite (dans le Faust de Gounod) à l'Opéra de Lausanne en juin dernier : timbre riche et velouté, aigus lumineux et pleins, phrasé remarquablement varié. Un talent à suivre de très près...

Dans le rôle de Timur, la basse milanaise Andrea Mastroni est un luxe tant la voix est presque trop éclatante de santé pour ce personnage de vieillard. De son côté, le trio des ministres (Manel Esteve, Francisco Vas et Vincenc Esteve Madrid) est parfait de bout en bout, mêlant en une mécanique bien rodée, les registres d'humanité, de cruauté et de poésie qui caractérisent ces trois personnages. On salue l'Empereur d'une belle exactitude du ténor catalan Josep Fado, ainsi que l'excellent Mandarin de José Manuel Diaz. On admire également le Chœur Intermezzo qui apporte son volume et sa présence sans faille à la représentation. Enfin, à la tête d'un Orchestre du Gran Teatre del Liceu de Barcelone en grande forme, le jeune chef italien Giampaolo Bisanti réussit à instaurer un bel équilibre entre la fosse et le plateau, s'attachant à faire ressortir toutes les rugosités harmoniques de la partition de Puccini, sans que l'intelligibilité des voix n'en pâtisse.

Emmanuel Andrieu

Turandot de Giacomo Puccini au Festival Castell Peralada, les 6 & 8 août 2016

Crédit photographique © Toti Ferrer

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading