Inaltérable Gregory Kunde dans La Forza del destino au Festival Verdi de Parme

Xl_la_forza_del_destino_de_verdi_au_teatro_regio_de_parme © Roberto Ricci

S’il n’y avait qu’un moment à retenir de cette soirée au Teatro Regio de Parme mettant à l’affiche La Forza del destino de Giuseppe Verdi dans le cadre du Festival consacré à l’illustre compositeur italien, c’est l’extraordinaire leçon de chant délivrée par Gregory Kunde dans sa longue romance du III « O tu che in seno agli angeli », suivie par trente secondes d’hystérie collective à la fin de laquelle le ténor américain a dû abandonner la pose pour remercier le public de tant de considération et d’amour. A 68 ans passés, Gregory Kunde en a encore « sous le pied » – au point de chanter au même moment (deux jours avant et deux jours après cette soirée parmesane), le rôle-titre d’Andrea Chénier au voisin Teatro Comunale de Bologne (nous y reviendrons). Après plus de 40 années passées sur les planches des principaux théâtres lyriques du monde, le chanteur étonne d’abord par la fraîcheur du timbre qui n’a rien perdu de sa couleur ni de son éclat, imposant par ailleurs un chant toujours facile et haut d’émission (même si le suraigu ne semble plus aussi illimité qu’avant). On est ensuite frappé par son souci de toujours privilégier la nuance sur la puissance, avec un sens du phrasé et de la coloration tout simplement jouissif, hérité de sa longue fréquentation du chant belcantiste. Enfin, il est ce soir celui qui s’investit le plus sur scène, se montrant bouleversant de passion, à la fois ardente et contenue. Et c’est de manière très légitime qu’il soulève à nouveau un indescriptible enthousiasme au moment des saluts !

Face à lui, la soprano ukrainienne Liudmyla Monastyrska (Leonora) évolue presque sur les mêmes cimes, timbre de braise enveloppante dont l’aigu jaillit, inépuisable, sur toute l’étendue d’une riche palette vocale. Elle parvient par ailleurs à alléger sa voix si large dans l’air « La Vergine degli Angeli », en le parant de magnifiques piani, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites. Dommage seulement que l’aigu qui conclut son aria final « Pace, pace, o mio Dio » manque d’impact, en partie dû au fait que le metteur en scène la fait chanter en fond de scène à ce moment-là. Désormais incontournable sur les plus grandes scènes internationales (le Metropolitan Opera et le Teatro alla Scala en tête), l’impressionnant baryton mongol Amartuvshin Enkhbat ne fait qu’une bouchée du personnage de Don Carlo di Vargas, et se pose – par l’art du chant, la beauté du timbre, la solidité des moyens, et le pouvoir d’évocation du legato – l’une des rares alternatives à Ludovic Tézier aujourd’hui. Loin des matrones habituellement affichées dans ce rôle, la Preziosilla d’Annalisa Stroppa surprend agréablement, tirant son personnage du côté de la soubrette féministe, avec une voix à la fois claire et puissamment projetée. La basse croate Marko Mimica confère une mémorable dignité à son Padre Guardiano, grâce à l’une des plus belles voix de basses chantantes d’une époque où elles ne sont pas légions. De son côté, Roberto De Candia a lui le grand mérite de chanter toutes les notes de Fra Melitone quand nombre de ses confrères se contentent de parler et faire les pitres, ce qui ne l’empêche pas d’être drôle, mais sans trivialité aucune. Enfin, Marco Spotti s'acquitte avec conviction de son rôle du Marquis de Calatrava, et l'on saluera également la remarquable prestation du Choeur du Teatro Comunale di Bologna, bien chantant et très sollicité par la partition.

La réalisation scénique confiée à Yannis Kokkos (qui ouvrira la saison 23/24 de l’Opéra de Montpellier, maison coproductrice du spectacle aux côtés des Opéras de Palerme et Bologne), elle ose une audace qui n’en est plus une : la transposition de l’intrigue au XIXe (ce dont attestent les costumes également conçus par Yannis Kokkos, qui signe également les décors). Car pour le reste, la scénographie s’avère d’une sobriété confinant au dénuement, composée de panneaux noirs découpés et stylisés, évoquant une église ou des bâtiments éventrés, derrière lesquels apparaissent toujours des cieux plombés, orageux ou incandescents, pour un effet il est vrai très esthétique (photo). La direction d’acteurs est, en revanche, réduite au strict minimum, laissant la plupart du temps les protagonistes à leurs inégaux moyens. Et ce sont ainsi surtout les magnifiques et hautement dramatiques éclairages de Giuseppe Di Iorio qui viennent apporter de la vie à ce dispositif, dont le principal mérite est de ne pas faire obstacle au pouvoir d’évocation de la musique.

Dernier bonheur de la soirée, le chef italien Roberto Abbado (directeur musical de la manifestation parmesane) a incontestablement trouvé la clé de la partition, à savoir l’équilibre des registres : urgente autant que ciselée, sa direction prend appui sur la pâte sonore, dense et flamboyante d'un Orchestre du Teatro Comunale de Bologne en état de grâce.

Soirée de triomphe pour clôturer l’édition 2022 du Festival Verdi !

Emmanuel Andrieu

La Forza del destino de Giuseppe Verdi au Teatro Regio de Parme, le 16 octobre 2022

Crédit photographique © Roberto Ricci
 

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