Faust comme fin de mandat à l'Opéra Grand Avignon

Xl_faust © Cédric Delestrade

Pendant longtemps un des piliers du répertoire des théâtres lyriques français, Faust est presque devenu une rareté. Le juge-t-on trop long, trop académique, trop difficile à distribuer ? Cela dit, pour nous faire mentir, c’est avec ce titre que Raymond Duffaut a décidé de tirer sa révérence après 43 années (!) passées à la direction générale et/ou artistique de l’Opéra Grand Avignon (dont nous venons d'annoncer la saison 17/18 dans ces colonnes). Il s’en explique dans le programme de salle, c’est après le choc d’une représentation du chef d’œuvre de Charles Gounod en février 1949 que les dés ont été jetés pour lui : sa vie serait intimement liée à l’opéra. Pour boucler la boucle, il a confié à sa femme, la metteure en scène Nadine Duffaut, le soin de mettre en scène ce dernier titre (qui sera ultérieurement repris dans les Opéras de Massy, Metz, Nice, Reims et Marseille, les cinq autres villes coproductrices du spectacle).

Cinq ans après avoir chanté ensemble dans Faust ici-même (mais dans une mise en scène de Paul-Emile Fourny), Florian Laconi et Nathalie Manfrino retrouvent l’ouvrage de Gounod sur les planches de l'institution provençale… en portant (toujours plus) haut les couleurs du chant français. Le premier - ténor « chouchou » de la maison - nous gratifie de son habituelle voix mordante et racée, à l’impeccable phrasé, et à la quinte aiguë toujours aussi vaillante, mais nuancée, quand la partition l’exige, par d’admirables demi-teintes et allègements idoines. Quant à Manfrino - que nous avions également déjà pu admirer dans le rôle à Nice en 2006, puis à Toulon en 2011 -, elle incarne la plus touchante, la plus bouleversante des Marguerite, passant avec aisance des émois de la jeune fille timide aux élans de la femme passionnée, pour finir en héroïne tragique. Elle assure crânement ce rôle vocalement périlleux et ses importants moyens de lirico font mouche dans la scène de la chambre et plus encore dans celle de la prison. Malgré sa voix désormais opulente, elle n’en négocie pas moins bien les brillantes vocalises du célèbre air des bijoux après avoir ciselé, telle une orfèvre, la superbe Balade du roi de Thulé. Troisième pilier de l’œuvre, la basse française Jérôme Varnier compose un Méphisto qui a de l’allure, du chic, du mordant, d’autant plus convaincant qu’il ne force jamais le trait. Il parvient ainsi à dégager son personnage de tout pompiérisme, sans rien lui ôter de sa dimension satanique. Dommage que le registre aigu ne réponde pas toujours à l’appel ce soir, mais l’engagement de l’acteur obère largement ce bémol. De présence, le baryton belge Lionel Lhote n’en manque pas non plus, en plus d’un matériau vocal d’une beauté et d’une robustesse qui lui vaut un déchaînement d’applaudissements après le fameux « Avant de quitter ces lieux ». Enfin, Marie-Ange Todorovitch campe une savoureuse Dame Marthe, Samy Camps un Siébel boiteux mais vocalement solide, tandis que Philippe Ermelier n’a pas de mal à faire exister Wagner.

Nadine Duffaut donne un coup de jeune à la mythique histoire de Faust en transposant l’action de nos jours. Quitte à froisser certains spectateurs (qui l’ont fait savoir à l’issue de la première), les trois principaux protagonistes masculins sont en jeans/baskets (Méphisto arbore lui des chaussures en cuir rouge) tandis que Marguerite porte une robe en vichy bleu. Quant au chœur, c’est une armée de zombies en vêtements loqueteux qui portent des masques leur donnant des airs de gueules cassées de la Première guerre mondiale. Tout ce petit monde évolue dans une scénographie (unique) conçue par la fidèle Emmanuelle Favre : une vaste chambre aux murs lépreux dont le plafond s’est effondré (des morceaux jonchent encore le sol) et qui est occupée par deux éléments principaux, un immense lit en forme de prie-Dieu et le grand portrait d’un Christ couronné d’épines derrière lequel apparaît souvent le vieux Faust (photo). Car la principale idée de Nadine Duffaut est d’avoir fait incarner Faust âgé par un autre chanteur (Antoine Normand, excellent…), personnage par la suite omniprésent et qui suit pas à pas les aventures de son alter-ego rajeuni. La scène la plus marquante de la soirée reste cependant la fameuse Nuit de Walpurgis (ballet exécuté dans son intégralité), complètement débridée, dans laquelle Méphisto ne cache pas sa préférence pour la gente masculine tandis que Faust subit les assauts de quatre geishas...

Quant à l'Orchestre Régional Avignon Provence, c’est bien simple, il s’est surpassé comme jamais pour faire honneur et rendre hommage à l’homme de la soirée. Pilier de la maison provençale dans laquelle il aura dirigé un si grand nombre de fois, Alain Guingal nous a tout simplement fait redécouvrir cette musique. Lyrique à souhait, extraordinairement attentive aux chanteurs comme à la cohésion des pupitres, jouissive de par sa dynamique et sa pulsation, sa lecture de la partition de Gounod éclaire le spectacle de ses évidences. Le chœur maison, magnifique de cohésion et de vaillance (sous la direction soignée d’Aurore Marchand), ne mérite également que des louanges, et c’est à juste titre qu’une interminable ovation a été offerte par le public à l’ensemble des protagonistes de cette fabuleuse soirée.

Emmanuel Andrieu

Faust de Charles Gounod à l’Opéra Grand Avignon (juin 2017)

Crédit photographique © Cédric Delestrade

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