Eine Florentinische tragödie & I Pagliacci à l'Opéra de Monte-Carlo

Xl_pagliacci © Alain Hanel

On sait gré à l'Opéra de Monte-Carlo d'avoir, en prélude au Pagliacci de Ruggero Leoncavallo, préféré au sempiternel Cavalleria Rusticana le rare Florentinische Tragödie d'Alexander von Zemlinsky. Ces deux ouvrages présentent le même schéma narratif, il est vrai assez archétypal, d'un mari jaloux tuant l'amant de sa femme (Florentinische tragödie) ou tour à tour sa femme et son amant (Pagliacci).

Le premier ouvrage a été confié aux bons soins de Daniel Benoin - directeur de la Comédie de Saint-Etienne de 1975 à 2001, puis du Théâtre National de Nice de 2001 à 2013 – qui se rabat ici sur le choix d'un décor permettant de remédier à l'absence d'action autre que psychologique. C'est dans la maison/entrepôt du riche négociant Simone (très beau décor signé par Rudy Sabounghi) que se déroule une histoire transposée de la période médiévale à l'époque fasciste, comme le démontre le costume dont il se voit affublé. Les draperies et étoffes qui tombent en nombre des cintres finissent par être utilisées par Simone pour étouffer le malheureux amant, sort fatidique auquel échappe sa femme de justesse grâce à son exclamation « Pourquoi ne m'as-tu jamais dit que tu étais aussi fort ? ». C'est merveille que d'entendre se déployer le soprano large et onctueux de la chanteuse néerlandaise Barbara Haveman dans la partie de Bianca, face aux robustes moyens - à défaut d'être toujours nuancés - du ténor serbe Zoran Todorovich (Guido). Remplaçant Samuel Youn initialement annoncé, le baryton allemand Carsten Wittmoser (Simone) ne parvient pas toujours à s'imposer face aux décibels émanant de la fosse, mais ses talents de comédien compensent ce déficit.

Signataire de mémorables Troyens pour l'Opéra de Valence, le metteur en scène hispano-brésilien Allex Aguilera transpose lui l'action de Pagliacci dans l'Italie des années soixante-dix, en offrant une lecture percutante du drame de Leoncavallo : point de transgression facile destinée à appâter le chaland mais une démarche cohérente, fidèle à l'esprit du livret, illuminée par des détails que l'on n'oubliera pas de sitôt (magnifique idée, par exemple, de nous montrer un public de villageois grimés en personnages de la Comedia dell'arte tandis que les comédiens jouent en costume de ville...). La distribution réunie par Jean-Louis Grinda s'avère proche de l'idéal et récolte une ovation délirante au moment des saluts. Dans le rôle de Canio, le ténor argentin Marcelo Alvarez laisse le public monégasque abasourdi, et sidère tant par la beauté et l'éclat de l'instrument que par une incarnation que nous qualifierons de majeure, voire d'anthologique : il dessine un Canio profondément humain et tragique, animal blessé qui hurle sa douleur et nous tire des larmes. Quant au grand Leo Nucci (Tonio), il fait fi - à l'instar de Placido Domingo - du passage du temps, et c'est chose inouïe que d'entendre son timbre merveilleusement inaltéré et sa puissance vocale phénoménale pour un chanteur âgé de...72 ans ! Quant à l'acteur, il est tout simplement prodigieux, et une longue salve de Hourras vient saluer l'artiste dès son grand air du Prologue. Difficile d'exister face à ses deux monstres de la scène lyrique internationale, mais la soprano urugayenne Maria-José Siri a cependant du « répondant » : elle incarne ainsi une Nedda pleine de fougue et de jeunesse, à la ligne de chant radieuse et à l'aigu proprement enivrant. Enfin, le baryton chinois ZhengZhong Zhou arbore une voix sonore et sensuelle à la fois, tandis que le ténor italien Enrico Casari délivre la Sérénade de Beppe avec beaucoup de délicatesse.

A la tête d'un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo en état de grâce, le chef israélien Pinchas Steinberg rend plus que justice aux beautés et à la luxuriance de l'orchestration de Zemlinsky, de même qu'il insuffle toute la souplesse, le lyrisme et la violence requises par la superbe partition de Leoncavallo.

Une nouvelle soirée enthousiasmante à l'Opéra de Monte-Carlo !

Emmanuel Andrieu

Eine Florentinische tragödie & I Pagliacci à l'Opéra de Monte-Carlo, jusqu'au 28 février 2015

Crédit photographique © Alain Hanel / Opéra de Monte-Carlo

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