Amartuvshin Enkhbat capte (à nouveau) la lumière dans Nabucco à Valencia

Xl_1-1-1-1024x682 © Miguel Lorenzo

En coproduction avec le Washington National Opera, le Minnesota Opera et l’Opéra de Philadelphie, ce Nabucco imaginé par l’américain Thaddeus Strassberger finit par atteindre la terre ibérique, au magnifique Palau de Les Arts de Valencia (où nous étions déja venu, au printemps dernier, écouter Leo Nucci dans Rigoletto). Disons d’emblée que ce n’est pas ce qu’on y aura vu de mieux, car l’homme de théâtre étasunien recycle ici la sempiternelle idée du théâtre dans le théâtre : il transpose l’action pendant le Risorgimento italien, période qui a vu la naissance de l’ouvrage, et c’est dans un théâtre italien – dont les loges sont occupées par l’envahisseur autrichien (à l’image du film Senso de Luchino Visconti) – qu’est donnée une représentation de Nabucco… dans les conditions et les conventions lyriques d’alors, c’est-à-dire avec grand renfort de toiles peintes, de costumes chamarrés, mais aussi de chœurs en rang d’oignon et de solistes la main sur le cœur… Autant dire que l’on s’ennuie quelque peu, et la soirée s’étire même en longueur, jusqu’à ce que les saluts ne provoquent le sursaut (théâtral) dont tout le reste de la soirée aura été dépourvue : au moment où Abigaille/Anna Pirozzi vient saluer, celle-ci demande au public de se taire, et le chœur reprend (a capella) le célébrissime « Va pensiero ». Tous les solistes joignent bientôt leur voix à celles du chœur, et tandis que ce dernier déroule un grand drapeau italien, les chanteurs jettent à la tête des Autrichiens les fleurs qui leurs ont été offertes !

En alternance avec Placido Domingo, le phénomène Amartuvshin Enkhbat rallie à nouveau les suffrages dans le rôle-titre, après sa prestation lyonnaise (dans ce même rôle), décrite par notre consœur Elodie Martinez il y a tout juste un an, mais aussi son magistral Rigoletto au dernier Festival de Macerata. On admire une fois de plus son prodigieux phrasé, mais aussi le noir éclat du timbre, spectaculaire dans les hauteurs de la tessiture, ainsi que la force de conviction de l'interprète qui capte la lumière, immanquablement, et en toute situation. Il retrouve, comme à Lyon, Anna Pirozzi en Abigaille (que nous avions déjà entendue dans le rôle à l’Opéra de Monte-Carlo en 2016). On sait dès lors que la diva napolitaine possède assurément la stature de ce personnage hors-norme, impressionnante furie au regard halluciné. Elle en assume aussi l'incroyable ambitus, du grave, appuyé très haut, à l'aigu, dardé avec la précision d'un laser, et cependant capable d'impalpables suspensions. De son côté, en panne d’aigus comme de graves, la basse italienne Riccardo Zanellato, en visible méforme ce soir, offre une caractérisation par ailleurs bien sommaire de Zaccaria. Enfin, si la Fenena d’Alisa Kolosova est un peu tout d’une pièce, elle n’en convainc pas moins dans ses quelques interventions, tandis que le ténor mexicain Arturo Chacon-Cruz fait davantage valoir l’aisance dans une tessiture ardue que la plasticité mélodique.

En fosse, le chef espagnol Jordi Bernacer obtient d’un Orchestre de la Comunitat Valenciana des couleurs, une dynamique et une souplesse qui donnent un sens au discours verdien. Le Chœur de la Generalitat Valenciana est chaleureux, nuancé quand il le faut. Moment évidemment très attendu, « Va pensiero » est abordé très lentement, pour ensuite s’envoler tout en gardant un bel élan, mais il n’atteint cependant pas le même pouvoir d’évocation, la seconde fois, sans le soutien de l’orchestre…

Emmanuel Andrieu

Nabucco de Giuseppe Verdi au Palau de Les Arts de Valencia (décembre 2019)

Crédit photographique © Miguel Lorenzo

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