A Genève, une Katia Kabanova minimaliste mais poignante

Xl_katia_kabanova_geneve-caroleparodi- © Carole Parodi

Après le succès qu’a obtenu, l’an passé au Grand-Théâtre de Genève, la Jenufa mise en scène par l’allemande Tatjana Gürbaca et incarnée par l’américaine Corinne Winters, Aviel Cahn a de nouveau invité les deux artistes dans le second titre le plus célèbre de Leos JanacekKatia Kabanova. La metteure en scène, toujours aidée du fidèle Henrik Ahr pour la scénographie, reprend la même idée que l’an dernier (et déjà pour son Werther à l’OnR) d’une grande boîte en bois clair, cette fois à pente inclinée et dotée de deux ouvertures sur les côtés qui servent de portes d’entrée ou de sortie aux protagonistes, et où ont lieu des actions en dehors de notre champ visuel. D’une sobriété et d’un minimalisme totales, sans le moindre élément de décor supplémentaire, c’est donc sur la direction d’acteurs, toujours aussi remarquable, que repose tout le travail de Tatjana Gürbaca. Nul moyen de s’évader ici – ou alors par le rêve, toxique pour ces âmes racornies malgré elles, dont l’horizon est désespérément bouché. Point de Volga, si ce n’est par les fugaces images vidéo du fleuve vu sous un ciel menaçant pendant l’Ouverture. Sur le plateau nu, les caractères se détachent avec une rare netteté, et les âmes sont mises à nue. Toutes les amours sont passionnées, les gestes démonstratifs, les élans incontrôlés, participant de la lecture sans concession, d’une violence sociale insoutenable, voulue par Tatjana Gürbaca.

Dans le rôle-titre, Corinne Winters confirme à quel point les héroïnes de Janacek conviennent à sa voix, et trouvent en elle l’une de leurs meilleures interprètes, tant sur le plan vocal que dramatique. Avec un chant aussi nuancé que somptueusement éclatant, doublé d’un engagement total, elle campe une héroïne d’abord soumise et résignée, comme perdue dans un ailleurs, mais qui se révèle bientôt assoiffée de sensualité ou extatique. Absolument bouleversante, en somme.

Le ténor danois Magnus Vigilius incarne un Tichon particulièrement timoré et hébété, manipulé par une mère castratrice qui trouve en Elena Zhidkova une interprète de choix. Implacable et monstrueuse, pleine de tics et presque robotisée, sa Kabanicha impressionne autant qu’elle fait froid dans le dos, conférant un formidable impact à ce personnage abject. De son côté, le ténor tchèque Ales Briscein est un Boris éclatant, à la voix pleine et virile, moins veule que dépassé par les événements. La basse islandaise Tomas Tomasson offre à Dikoï son incontestable présence scénique, et un timbre d’une noirceur qui sied à la brute épaisse tel qu’il apparaît ici. La mezzo croate Ena Pongrac campe une Varvara de grande classe, et son duo avec le Koudriach de Sam Furness est idéal, le timbre et l’élégance du phrasé du ténor britannique étant particulièrement séduisants.

Enfin, côté fosse, la direction du chef tchèque Tomas Netopil subjugue par l’incroyable diversité de ses contrastes et de ses couleurs, magnifiée par un Orchestre de la Suisse Romande des grands soirs. Après le murmure des premières mesures, un subtil crescendo instaure d’emblée une atmosphère intense, sa lecture souvent incisive, âpre et nerveuse, se faisant par moments sensuelle ou d’une extrême douceur.

Un spectacle fort et un coup de poing réussi !

Emmanuel Andrieu

Katia Kabanova de Leos Janacek au Grand-Théâtre de Genève, jusqu’au 1er novembre 2022

Crédit photographique © Carole Parodi

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