Tosca au Staatsoper de Berlin avec Angela Gheorghiu

Xl_tosca-berlin-2016 © DR

Et si c’était le rôle de sa vie ? Emouvante Traviata, grande Carmen au disque, Angela Gheorghiu en revient pourtant toujours à Tosca, l’héroïne de Puccini qu’elle ne cesse d’interpréter à la manière d’un domaine qui lui serait réservé. Détail qui ne trompe pas : le règlement de compte bon enfant qu’elle provoqua en avril dernier à l’Opéra de Vienne lorsque Jonas Kaufmann eut le malheur de provoquer plus de hourras que sa Tosca. 

Conçue en 2014 pour Anja Kampe, la production d’Alvis Hermanis est anecdotique. Le metteur en scène letton renoue ici avec son procédé de l’image dissonante (d’aucuns se souviennent sans doute de l’accouplement de deux escargots dans La Damnation de Faust à Bastille) sous la forme d’un écran au-dessus de la scène qui raconte l’histoire de Tosca en dessins faussement naïfs. Outre qu’il encoure le risque de l’illustration, le procédé parait gratuit. S’agit-il de narrer une histoire passée un siècle plus tôt que la composition ? On notera bien également une ressemblance des images avec celles que l’on connait de la mythique mise en scène de Zeffirelli avec Maria Callas et Tito Gobbi dans les rôles titres. Toujours est-il qu’Hermanis semble ridiculiser la trajectoire de Tosca en vignettes de soap-opéra, tout en profitant du dramatisme d’un ouvrage du grand répertoire. La superficialité du procédé éclate à l’acte 2 lorsque l’intensité du face-à-face Tosca/Scarpia détourne les yeux de l’écran au profit du seul échange entre les comédiens-chanteurs. Le dénouement tragique au Castel Sant’Angelo rencontre également une bien piètre incarnation dramatique.

Même déception du côté de la fosse. Domingo Hindoyan, l’assistant de Daniel Barenboim à la Staatskapelle Berlin, fait ressortir les timbres instrumentaux à la manière d’une symphonie de Mahler et étouffe le lyrisme puccinien par un orchestre bruyant et cru. De cette représentation plate mais plaisante, on gardera l’investissement de l’équipe vocale. Outre la belle présence scénique de la basse Jan Martinik en sacristain, le Scarpia de Michael Volle campe un personnage attachant. Celui que l’on connait en Wotan wagnérien ne possède certes pas la dimension menacante d’un Terfel, mais à l’aide d’une voix ample et équilibrée, dresse le portrait d’un chef de la police romaine désabusé, comme las d’avoir trop côtoyé les hommes. Le Cavadorossi de Fabio Sartori témoigne, quant à lui, d’une voix puissante et athlétique, trop sans doute à l’exception d’un « Lucevan le stelle » enfin empreint de musicalité.

Et puis il y a LA Gheorghiu. Disons-le tout net, la soprano roumaine ne livre pas une interprétation d’anthologie. La faute à un manque certain de volume sonore et des médiums quasiment inaudibles. Son aura de diva crée cependant le trouble dès son apparition, avec des fans énamourés qui applaudissent la venue de leur déesse. Après un acte 1 où la chanteuse minaude une Tosca juvénile, l’alchimie avec le Scarpia de Michael Volle opère et la diva a dès lors tout loisir de faire admirer des aigus rayonnants, et des pianissimi irréels notamment dans un magnifique « Vissi d’arte». Car finalement, Angela Gheorghiu n’est peut-être pas celle que l’on croit. Peut- être ne le sait-elle que trop. C’est lorsqu’elle est la plus fragile que la chanteuse roumaine est la plus touchante. Son art du phrasé s’épanouit à merveille dans des phrases au bord du récitatif, et c’est débarrassée de ses tics scéniques qu’elle laisse alors parler une voix au timbre toujours aussi enchanteur. Pour l’opéra de Puccini, c’est à la fois beaucoup et, il faudra en convenir, trop peu, d’autant que les berlinois pourront entendre en novembre prochain la Tosca de sa grande rivale, Anja Harteros, qui triomphe actuellement ces jours-ci à l’Opéra Bastille

 

Laurent Vilarem
représentation du 21 septembre 2016

 

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