Is this the end? à Bruxelles, un pop-requiem confus et daté

Xl_is-this-the-end-2-001 © S. Van Rompay

Is this the end? de Jean-Luc Fafchamps est un projet très intrigant. Il s’agit tout d’abord d’un triptyque créé sur plusieurs années à La Monnaie de Bruxelles. Le premier volet, donné en 2020 en pleine pandémie, consistait en un film vidéo ; le deuxième, qui nous occupe ici, mêle musique enregistrée, vidéos et chanteurs sur scène, tandis qu’un troisième et dernier ouvrage relevant davantage de l’opéra traditionnel est attendu pour les prochaines saisons.

Ce singulier dispositif formel se double d’une réflexion sur les états de conscience intermédiaires entre la vie et la mort. On songe aux propositions radicales de l’opéra Koma de Georg Friedrich Haas (où la salle était entièrement plongée dans le noir) ou encore si on reste à Bruxelles, à l’Orphée de Glück où le metteur en scène Roméo Castellucci symbolisait Eurydice par une femme réellement frappée du “locked-in” syndrome dans une chambre d’hôpital. Dans Is this the end?, Fafchamps choisit un ton résolument plus léger puisque le compositeur belge décrit son œuvre comme un “pop-requiem”.

© S. Van Rompay

Le livret d’Eric Brucher nous promet “un putain d’opéra de dingues”. Et en entrant dans les ateliers de La Monnaie, on a envie d’être surpris. À la manière d’une attraction dans un parc Disney, le public est invité à prendre un ascenseur puis à patienter qu’un écran, en forme de cathédrale gothique, ne s’allume. Des comédiens en costume bleu tout droit sortis du Cinquième Elément de Luc Besson nous accueillent à mesure que des messages, à la manière des ”Breaking News” de CNN, défilent dans les coins de l’écran à la manière d’inquiétantes nouvelles scientifiques. On le voit, on se retrouve dès le début de Here’s the woman! (nom de ce deuxième volet de Is this the end?) en pleines années 1990. Souvent volontaires, ces références à la fin du vingtième siècle font teinter l’ensemble du spectacle d’un air de déjà-vu et déjà entendu. Musicalement, difficile de ne pas trouver désuète la scène de “rave party” avec ces rythmes techno, ou l’alliance post-moderne de musique pop, de comédie musicale, de minimalisme et de grand répertoire lyrique que Fafchamps imagine à la manière d’un grand syncrétisme musical. En 1999, son compatriote Philippe Boesmans mêlait déjà dans Le Conte d’Hiver d’après Shakespeare un orchestre à un groupe de jazz-rock. De même, avec son absence de narration (car il n’y a pas d’histoire à proprement parler dans Here’s the woman!), on pense également aux opéras de Pascal Dusapin créés à Bruxelles (Macbeth Underworld, Penthesilea). Nous sommes certes ici dans une relecture plus ludique des grands mythes atemporels, mais l’expérience “limite” promise par la soirée ne produit pas d’étincelles. Le dispositif imaginé par Fafchamps et la metteuse en scène Ingrid von Wantoch Rekowski (partie instrumentale enregistrée, vidéos des chanteurs et présence réelle de ces derniers) renforce l’absence d’incarnation et rappelle, une nouvelle fois, d’illustres ainés tels Bill Viola et Peter Sellers. Avec ces allusions à la vie éternelle ou à la cryogénisation, le logiciel philosophique semble enfin tourné lui-aussi vers le passé, sans répondre ou devancer les préoccupations de demain.

On se retrouve devant un spectacle inoffensif, qui possède certes de l’énergie mais ne parvient pas à définir ses enjeux dramatiques, probablement trop nombreux. Le choc attendu n’a pas eu lieu. Dans le rôle de l’Homme, Amaury Massion (Lylac) peine à trouver sa justesse, tandis que l’Adolescente de Sarah Defrise et surtout la Femme d’Albane Carrère se tirent avec les honneurs dans le rôle de ces héroïnes transfigurées par leur expérience de mort imminente.

Reste que le troisième et dernier volet de Is this the end? continue d’intriguer à condition que les auteurs s’inspirent davantage d’éléments musicaux, populaires, technologiques et visuels d’aujourd’hui.

Laurent Vilarem
Bruxelles, le 22 avril 2022

Is this the end? #2 Here’s the woman! au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles du 21 au 24 avril 2022

© S. Van Rompay

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