Un délicieux Roi Carotte bien mijoté pour les Fêtes à l'Opéra de Lyon

Xl_leroicarotte2019_copyright_soulage__2_ © Blandine Soulage

Difficile pour les chanceux qui y ont assisté de ne pas se souvenir de la truculente production du Roi Carotte créée à l’Opéra de Lyon en 2015 pour les fêtes de fin d’année, reprise depuis à Lille en 2018 avec le même succès – succès également salué par le prix de la meilleure redécouverte lors des International Opera Awards en de 2016. Autant dire que les cœurs étaient déjà à la fête lors de l’annonce de la reprise de cette production pour cette fin d’année 2019 !


Le Roi Carotte, Opéra de Lyon 2019 ; © Blandine Soulage

Le Roi Carotte, Opéra de Lyon 2019 © Blandine Soulage

La mise en scène de Laurent Pelly est tout aussi dynamique et divertissante que dans nos souvenirs, avec la même intelligence et le même réglage au millimètre. Tout est savamment calculé pour que le spectateur ne s’ennuie pas un instant et passe un très bon moment. L’idée d’un décor unique dans lequel se meuvent différents éléments afin de suggérer les changements de lieux reste efficace et permet d’avoir le plaisir de grands décors, loin d’un minimalise qui ne sied pas toujours à Offenbach et aux festivités. Les personnages fourmillent sur scène, entrent et sortent des coulisses comme des placards, les tableaux d’ancêtres – tour à tour de Fridolin et du gnome de la famille des apiacées – descendent et montent des cintres, les tableaux illustratifs semblant sortir tout droit d’un manuel botanique, ou bien montrant divers insectes et les abeilles… Tout cela s’anime et prend vie dans une farandole festive rendant grâce à la folie d’Offenbach pour cet opéra-bouffe féérique.

Rappelons brièvement l’histoire rocambolesque du livret de Victorien Sardou (quelque peu remanié ici par Agathe Mélinand). Fridolin XXIV apparaît déguisé au milieu d’un foule d’étudiants et l’on apprend très vite qu’un mariage princier est prévu afin de remplir les caisses de l’Etat, vidées par le train de vie du prince. La princesse en question arrive à son tour, personnage décalé loin de l’image de la sage princesse obéissante, aimant boire, fumer et danser. Toutefois, l’histoire ne serait pas très originale sans l’intervention d’un bon génie et d’une sorcière, la dernière donnant vie à un potager et tout particulièrement à une carotte sans grand esprit qu’elle aide, par sortilèges, à renverser Fridolin en se faisant adorer de la cour. Forcé de fuir, mais aidé du génie Robin-Luron, de Rosée du soir, la captive échappée de l’antre de la sorcière Coloquinte, ainsi que de Truck (nécromancien du palais) et Pipertrunck (chef de la police et des mystères qui retourne sa veste au propre comme au figuré), Fridolin parcourt le temps et l’espace dans un désopilant voyage initiatique. Celui-ci le mènera notamment à Pompéi, aujourd’hui, puis à l’époque de la terrible irruption du Vésuve, ou encore dans le monde des fourmis, le tout permettant une satyre certaine de la politique, toujours valable de nos jours. Difficile, d’ailleurs, de ne pas entendre résonner plus particulièrement les paroles de la révolte du peuple au marché : « Ah ! quel gouvernement ! Ca ne peut pas durer vraiment ! » Quant à la fin, on s’en doute : « tout est bien qui finit bien » puisque Fridolin épouse finalement Rosée du soir après avoir repris le pouvoir, et que le Roi Carotte est réduit en purée par un immense moulin à légumes.


Le Roi Carotte, Opéra de Lyon 2019 ; © Blandine Soulage

Le Roi Carotte, Opéra de Lyon 2019 ; © Blandine Soulage

Du grand n’importe quoi, mais savamment et diablement orchestré par Offenbach qui compose ainsi une œuvre magistrale initialement de quatre actes et six heures, réduite ici à trois actes et trois heures environ. Tout s’intègre donc dans ce caractère féérique, qu’il s’agisse des superbes décors de Chantal Thomas ou bien des costumes également signés Laurent Pelly, rendant notamment les soldats radis à croquer ! Mais la recette ne serait pas complète sans la pincée savoureuse des interprètes qui participent à la magie collective. Difficile de nous arrêter pleinement sur la douzaine de personnages, mais saluons le Fridolin de Yann Beuron qui reprend ce rôle déjà tenu en 2015. À nouveau, sa voix de ténor porte le prince dans de belles sphères où sa prononciation, son naturel et son aisance font mouche, tant dans le parler que le chanter. Léger mais parfaitement tenu, vocalement et scéniquement, son Fridolin est attachant et bénéficie d’une belle présence. Son rival carotte est pour sa part à nouveau interprété par Christophe Mortagne, et il faut bien avouer que l’on aurait du mal à imaginer un autre interprète à sa place tant il a su et sait encore donner vie à ce légume tyrannique, rendant le gnome attachant sans pour autant qu’il le soit de trop et que sa terrible mort ne soit pas l’occasion d’un bel éclat de rire de la part de la salle ! Travestissant sa voix pour coller au personnage terreux qu’il anime, il exécute avec art ses pas de danse et une interprétation scénique sans faille. Julie Boulianne reprend également le rôle de Robin-Luron avec toute la légèreté qui le caractérise, une belle énergie et une joie communicative. Les graves peinent toutefois parfois à se faire entendre. Celle dont la projection ne souffre aucun défaut est bien Chloé Briot, Rosée du soir, également présente lors de la création en 2015. Elle est tout au long de la soirée une véritable source de satisfaction et de plaisir grâce à sa voix légère, fraîche, qui rend parfaitement hommage au nom de son personnage. Boris Grappe, anciennement Truck, est à présent Pipertrunck et donne au chef de la police une belle voix et des accents dignes du représentant de l’ordre qu’il est, offrant lui aussi une belle projection, tandis que Truck est pour sa part interprété par Christophe Gay, inquiétant nécromancien au pantalon déchiqueté. Autre changement par rapport à 2015, Antoinette Dennefeld – qui avait marqué ce rôle – n’est pas Cunégonde, ici sous les traits de Catherine Trottmann. Bien que l’on se refuse habituellement à comparer des productions entre elle, chacune méritant de vivre pleinement sa propre vie, il nous est difficile ici de ne pas avoir un léger regret tant nous avions un beau souvenir de la première. Bien que Catherine Trottmann offre sa jeunesse, son énergie et une interprétation scénique somme toute très habitée de cette princesse particulière, le chant manque quelque peu de projection et parfois de netteté, mais peut-être n’était-ce dû qu’au stress de la Première. Citons pour finir la sorcière Coloquinte, Lydie Pruvot, qui, bien que ne chantant pas, conserve un rôle prépondérant dans cet amusant conte.

Autres points appréciables de la soirée, les Choeurs de l'Opéra de Lyon qui se montrent toujours aussi excellents de bout en bout, créant une belle homogénéité dans les ensembles, et des groupes distincts lorsqu'il le faut, comme par exemple pour les quatre groupies du roi Carotte, ou encore chaque personnage annoncé lors de la présentation officielle de la princesse, le tout sous la direction d'Adrien Perruchon, maître de cérémonie dynamique qui agrément de paillettes festives cette partition qui n'en manque déjà pas.

L’Opéra de Lyon propose ainsi pour notre plus grand plaisir la reprise de ce Roi Carotte plein d’humour, bien mijoté et savoureux à souhait. Une véritable bouffée de bonne humeur antidépressive à déguster pour les fêtes !

Elodie Martinez
(A Lyon, le 13 décembre)

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