Le Roi Carotte d'Offenbach à l'Opéra National de Lyon : une rareté loufoque et hilarante !

Xl_roi_carotte © Stofleth

Opéra bouffe oublié ou presque, Le Roi Carotte de Jacques Offenbach n’avait quasiment plus été joué depuis 1872, à l’exception de quelques productions, ici ou là, en format de poche. Dû à la plume de Victorien Sardou, l’auteur de Tosca, le livret est écrit dans une période politique incertaine, entre la fin du Second Empire (la composition commence en 1869) et les débuts hésitants de la Troisième République. L’intrigue est délirante : criblé de dettes, Fridolin XXIV (!) s’apprête à épouser Cunégonde, princesse richement dotée, et - Offenbach oblige... - parfaitement délurée. Un sortilège de la sorcière Coloquinte ruine ce plan : la Cour, Cunégonde comprise, s’enthousiasme pour un potager et se dote d’un nouveau monarque à la fois stupide et dictatorial : une carotte ! Ce légume royal suscite bien vite le mécontentement de ses sujets. Après moult péripéties, dont un voyage dans le temps à Pompéi, Fridolin, aidé par un bon génie (Robin-Luron), chasse l’intrus et épouse une autre victime de la sorcière, Rosée-du-Soir. Cour insouciante et festive, monarques frivoles et autoritaires, peuple versatile : tout le monde en prend pour son grade. Et la France défaite par la Prusse s’enthousiasma pour le spectacle et ses sous-entendus, lui faisant un triomphe au Théâtre de la Gaîté. Hélas, cette « féerie » exige des moyens trop importants pour être rentable : jusqu’à 120 personnes sur scène pour six heures de spectacle, avec 24 tableaux, des décors multiples et quelques trucages qui feront date… La fastueuse production est reprise à l’étranger - dont New York - puis disparaît.   

Aussi sa résurrection à l’Opéra National de Lyon suscitait-elle une légitime curiosité. Connaissant son Offenbach sur le bout des doigts, le trio Laurent Pelly/Agathe Mélinand/Chantal Thomas (on se rappelle - in loco - du succès retentissant remporté par leur production de La Vie parisienne et d'Orphée aux enfers...) a concocté un véritable feu d’artifice. Ramenée à moins de trois heures, l’œuvre est rondement menée, drôle et cohérente, sans perdre de son extravagance. Impossible de ne pas saluer les décors, tour à tour imposants, élégants ou fantaisistes. L’immense bibliothèque de Fridolin est celle des contes et des grimoires, tandis que Coloquinte tient prisonnière Rosée-du-Soir dans un gigantesque panier à salade. Et  le Roi Carotte périra broyé dans un moulin à légumes, tout aussi grand, après avoir trôné dans des… cagettes, sous l’œil admiratif d’une cour terriblement « opérette », avec force médailles et robes longues. Pompéi tient plus de la farce, « sauce » Belle Hélène, que de la grandeur romaine et l’œil se réjouit des légumes géants (dont de magnifiques navets !), et même d’un chœur de fourmis, tout droit sorti d’un dessin animé des Studios Disney. La réussite tient aussi dans le talent de Laurent Pelly à organiser les mouvements incessants, vifs et rythmés d’un plateau pléthorique, qui prend régulièrement les allures d’un ballet déjanté.

Parfaitement dirigés, les interprètes – tous francophones - sont à la hauteur de l’événement. Yann Beuron – superbe Lucinius (dans La Vestale) en octobre dernier au Cirque Royal de Bruxelles - campe avec sérieux un Fridolin XXIV veule et jouisseur, s’efforçant de rester digne en toutes circonstances – tout en l’étant rarement. Sa princesse Cunégonde a le bagout et la pétulance d’une roturière : la mezzo alsacienne Antoinette Dennefeld (déjà parfait Isolier dans Le Comte Ory de Rossini, l'an passé ici-même) est parfaitement réjouissante dans ce rôle, qui la voit alterner avec brio romances délicates et interjections vulgaires. La délicatesse du soprano de Chloé Briot fait merveille dans le rôle de Rosée-du-Soir, dévolu à la passion, tandis que la mezzo québecoise Julie Boulianne campe un Robin-Luron vif, bondissant et joyeusement impertinent. Engoncé dans une épaisse racine orange, Christophe Mortagne est irrésistible dans le rôle-titre, ne cessant d’ordonner que pour geindre, avec le concours d’une voix éraillée à souhait. Les seconds rôles sont tout aussi bien tenus, qu’il s’agisse de la sorcière (la comédienne Lydie Pruvot) ou des officiers de la cour (les excellents Jean-Sébastien Bou et Boris Grappe).

Soumis à rude épreuve, avec de nombreux changements de costumes et mouvements rythmés, les Chœurs de l'Opéra National de Lyon n’appellent que des louanges. Sans doute la direction de Victor Aviat aurait-elle gagné à davantage de clarté dans les pupitres, mais le jeune chef français maintient l’équilibre avec le plateau, gage d’une soirée résolument théâtrale et joyeuse.

Emmanuel Andrieu

Le Roi Carotte de Jacques Offenbach à l'Opéra National de Lyon, le 1er janvier 2016

Crédit photographique © Stofleth

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