Rodelinda envoûte l'Opéra de Lyon

Xl_rodelinda_jean-pierre-maurin2018__12434f_0 © Jean-Pierre Maurin

Si l’on s’attend généralement à des œuvres légères pour les Fêtes de fin d’année, comme actuellement à Strasbourg, Nancy ou Montpellier, d’autres maisons font le choix d'ignorer la période de Noël dans leur programmation. C’est le cas par exemple de l’Opéra Comique qui propose Hamlet ou encore de l'Opéra de Lyon qui, bien que l’on se souvienne encore de son drôlissime et succulent Roi Carotte de 2015 ou de sa belle Cenerentola de l’an passé, opte cette année pour une œuvre de Haendel (de même qu’en 2012 avec son Messie) : Rodelinda. La production a été donnée à Madrid et sera ensuite reprise à Barcelone.


Rodelinda, Opéra de Lyon ; © Jean-Pierre Maurin

Rodelinda, Opéra de Lyon ; © Jean-Pierre Maurin

Comme bien souvent, le drame trouve son origine dans un conflit familial : Bertarido tue son propre frère afin d’accéder au trône – ce que nous voyons au ralenti durant l’Ouverture – mais doit ensuite s’enfuir à l’arrivée de Grimoaldo en abandonnant son épouse Rodelinda et son fils Flavio. Il se fait alors passer pour mort et Grimoaldo, initialement fiancé à Eduige (la sœur de Bertarido) courtise Rodelinda qu’il pense veuve. Cette dernière résiste, endeuillée et toujours amoureuse de son époux qu’elle croit décédé. Le conseiller de Grimoaldo, Garibaldo, finit par menacer Flavio afin de faire fléchir Rodelinda. Contrainte par cette menace, elle accepte la proposition du traitre justement au moment où son mari revient secrètement pour sauver sa famille. Ce dernier doute alors de l’amour de sa femme tandis que cette dernière pose comme condition à son nouveau mariage que Grimoaldo immole son fils, ce qui n’est bien sûr qu’une ruse – tuer Flavio ferait de lui un usurpateur au yeux du monde et lui imposerait de sacrifier son honneur à son ambition. Finalement, Bertarido se découvre auprès de son épouse, lui demande de lui pardonner d’avoir douter d’elle avant de se faire arrêter par son rival, jeter en prison, puis d'être libéré avec l’aide d’Unulfo (son fidèle serviteur et ami) et d’Eduige qui se range ainsi à ses côtés. Un nouveau quiproquo le fait à nouveau croire mort auprès de sa femme, mais il finit par revenir et sauver Grimoaldo d’un attentat préparé par Garibaldo. Le rival rend avec plaisir la couronne de Milan, retourne auprès d’Eduige, et Bertarido reprend sa couronne et sa vie.

La mise en scène est confiée à Claus Guth qui décide de faire de Flavio (ici Fabian Augusto Gomez Bohorquez) le point de vue central. Ainsi, le personnage muet est omniprésent et se trouve témoin de l’ensemble des actions ou presque. Afin d’exhorter son ressenti de petit garçon, il ne cesse de dessiner sur un carnet, dessins qui apparaissent projetés sous nos yeux ou bien qui prennent vie sous la forme de doubles des protagonistes aux visages disproportionnés, reproduction des illustrations de l’enfant. Lors de la scène finale, alors que l’ensemble des adultes chantent joyeusement dehors, nous voyons le petit garçon à l’une des fenêtre de la maison, terrifié et poursuivi par ces illusions, ces cauchemars, montrant ainsi les conséquences psychologiques d’un drame familial sur un enfant.

Le travail scénique repose également sur l’imposant décors fait d’une maison entièrement blanche (nous retrouvons ainsi la classique opposition entre blanc et noir) posée sur un plateau tournant, rappelant une maison de poupée. Ce procédé permet une grande fluidité dans les déplacements des personnages qui peuvent passer de l’extérieur à l’intérieur, de la salle à manger au couloir ou aux escaliers desservant l’étage, ou encore de voir à la fois la chambre de Rodelinda et le séjour juste en-dessous, ou bien ce qui se trame derrière les portes fermés, invisible aux yeux des protagonistes enfermés. Quant à l’extérieur, il est figuré par la façade d’entrée de la maison et d’éventuelles projections d’ombres d’arbres et/ou de champs. Le résultat fonctionne bien et permet de ne pas se perdre ni dans l’intrigue, ni dans la vision du metteur en scène.


Jean-Sébastien Bou (Garibaldo), Avery Amereau (Eduige) et Sabina Puertolas
(Rodelinda) ; © Jean-Pierre Maurin

Côté voix, le plaisir est pour sa part total, à commencer par le rôle-titre interprété par Sabina Puertolas que le public lyonnais prend grand plaisir à retrouver après sa superbe princesse Eudoxie en 2016. Dans ce registre tout autre, la soprano espagnole charme tout autant : loin de la sensualité excessive de la princesse, elle revêt ici la peau d’un personnage plus profond, entre douleur, fidélité, amour, courage, d’une force qui engendre une réelle admiration. Sa scène de folie permet également de dégager une belle énergie. Bref, elle livre une palette d’émotions intenses qui touche le spectateur, captivante et charismatique, elle ne peut qu’attirer le regard. Vocalement, le résultat est tout aussi superbe et nous entendons une Rodelinda aux vocalises légères et agiles, en équilibre et en nuances, le tout dans un timbre chaleureux et doux, puissant quand il le faut. Elle trouve en Avery Amereau une Eduige à la hauteur de sa superbe et leur duel en blanc et noir, à coups d’éventails a de quoi faire virevolter les têtes et les oreilles. La projection est superbe et la ligne de chant d’un naturel et d’une expressivité déconcertants.

Les hommes sont loin de démériter. En premier lieu le séduisant Grimoaldo de Krystian Adam au timbre ensoleillé et clair. Si son jeu manque parfois de naturel dans les premiers instants, il se rattrape bien vite et convainc pleinement ensuite. Un vrai régal, tant à écouter qu’à regarder ! Jean-Sébastien Bou est ici l’infame Garibaldo, traitre parmi les traitres, boiteux et borgne (bien qu'élégant dans son costume XIXe signé Christian Schmidt). Sa basse fait des merveilles dans ce rôle où la noirceur du personnage se perçoit jusque dans la voix, et le jeu de l’interprète est tout aussi excellent. Lui que l’on voit souvent nous amuser dans d’autres œuvres montre une fois de plus que ses talents ne sont pas uniquement comiques. En contre-point se trouve la voix du contre-ténor Christopher Ainslie en fidèle et touchant Unulfo. Enfin, Lawrence Zazzo (qui se partage le rôle avec Xavier Sabata) incarne un solide Bertarido dont le chant expressif ne connaît pas de faiblesse, de même que son interprétation scénique : homme caché, privé de sa famille, désireux de la retrouver, père et époux, son duo avec Rodelinda, « Io t’abbraccio », est sans conteste l’un des moments de grâce de la soirée.

Ultime source de plaisir de la soirée, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon est dirigé par Stefano Montanari, coutumier des lieux, qui propose une lecture empreinte de raffinement, de nuances et de couleurs dans un parfait équilibre avec le plateau. L’intelligence de l’interprétation laisse deviner que chaque détail de la partition a été étudié avec grand soin pour livrer une musique exemplaire.

Une très belle production en somme, qui sera par ailleurs diffusée sur France Musique le dimanche 20 janvier à 20h.

Elodie Martinez
(Lyon, le 15 décembre)

Rodelinda, à l'Opéra de Lyon jusqu'au 1er janvier.

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