Didon et Enée, remembered à Lyon, ou le sacrifice de Purcell sur l’autel de Marton

Xl_didoneteneeremembered_blandine-soulage_dou5825 © Blandine Soulage

Après L’Enchanteresse donnée la veille, l’Opéra de Lyon proposait la deuxième production de son festival « Vies et Destins », Didon et Enée, remembered. Entre la modification du titre de l'oeuvre de Purcell et le nom du metteur en scène, David Marton, difficile de dire que l’on n’est pas prévenu de ce qui nous attend : un spectacle qui risque fortement de s’éloigner de l’œuvre originelle. Mais de là à en arriver à un tel résultat…


Erika Stucky et Kalle Kalima ; © Blandine Soulage

Didon et Enée, remembered, Opéra de Lyon ; © Blandine Soulage

Entre son Faust « désolant » et son Don Giovanni loin de convaincre, nous nous doutions bien que David Marton ne respecterait pas l’œuvre de Purcell afin de se l’approprier dans une vision dont il a seul le secret. Nous espérions néanmoins retrouver la magie de son onirique Orphée et Eurydice, bien qu’il annonce ici clairement ses intentions : Kalle Kalima (guitariste de jazz finlandais et musicien d'improvisation) mêle sa musique à celle du compositeur anglais, également agrémentée d’extraits de Virgile et d’interludes d’Erika Stucky (performeuse qui a tous les talents). Sans oublier que trois rôles sont ajoutés aux trois personnages principaux de Didon et Enée que sont les deux amants et Belinda : Junon, Jupiter et un Esprit. On ne nous prend donc pas en traître, mais tout de même : c’est à peine si Didon et Enée sert de base ici, tant les ajouts éclatent l’œuvre et que l’histoire disparait !

David Marton indique dans une vidéo sur le site de l’Opéra qu’il souhaite recréer l’énergie baroque, avec ses improvisations caractéristiques, son trait beaucoup moins organisé et régenté que l’opéra d’aujourd’hui. Soit. L’idée est intéressante. Mais improviser n’est pas forcément synonyme de détruire, et, de même qu’humainement, il n’y a pas forcément besoin d’anéantir pour exister. Pourtant, le début musical est particulièrement réussi : à la musique de Kalle Kalima (présent entre la fosse et la scène, à mi-hauteur) se greffent petit à petit quelques notes de Purcell de plus en plus nombreuses, rendant le résultat certes plus cacophonique que musical, mais l’image de la musique baroque émergeant presque physiquement de l’improvisation moderne est très belle. Nous entendons enfin l’introduction de Didon et Enée, en parallèle de l’apparition de Didon et Belinda sur scène après avoir observé deux archéologues en toges (il s’agit en réalité de Junon interprétée par Marie Goyette, et Jupiter sous les traits de Thorbjön Björnsson) découvrant des objets d’aujourd’hui, tels des bouts de clavier, des câbles ou encore un téléphone que nous retrouvons justement dans les mains de l’héroïne. Le couple divin devient finalement le couple de premier plan, plus présent que Didon et Enée, parlant en anglais (de même que Belinda) tandis que le couple de Purcell répond en français.

Las, ce « collage, fait à partir de l’opéra de Purcell, de textes de Virgile, de compositions de Kalle Kalima et d’interludes d’Erika Stucky », censé faire « naître un tissage qui cherche à relier voix, bruits et mélodies, époques et styles », délie plus qu’il ne lie, détache plus qu’il ne rattache dans une intellectualisation et une conceptualisation poussées qui oublient que l’on a toujours besoin d’une histoire à l’opéra, même si elle est parfois simple ou abracadabrante. L’usage excessif de la vidéo devient par ailleurs presque écœurant, d’autant plus que l’on y avait déjà eu droit (de façon plus modérée) la veille, montrant bien qu’il n’y a plus là aucune originalité, et une grande partie – peut-être la majorité – des actions se passent hors scène, dans les coulisses visibles mais lointaines et donc rapportées sur écran, ou bien en sous-sol, forçant à l’amplification des voix. Le cameraman est finalement aussi présent sur scène que les personnages, voire plus. Même le final ne sauvera pas la soirée : sans grande surprise, les deux parties avant du décor principal en forme de maison (ou bien de tente puisqu’il s’agit d’archéologie) se referment après que Junon et Jupiter ont précipitamment réenterré tous les objets et se couchent dessus. Pourtant, on avait eu un regain d’espoir en voyant auparavant le corps de Didon, après sa mort énoncée théâtralement, au milieu d’ordures en plastique. Comme pour symboliser la valeur de la vie aujourd’hui, l’être humain ne valant pas plus qu’une bouteille en plastique, ou bien sa valeur aux yeux du Destin : sa vie face au Destin, rejoignant alors la thématique du festival. Mais elle se relève pour chanter sa mort, changeant de costume au passage, et la symbolique – s’il y en avait une – passe à la trappe. Heureusement, le chœur final de Purcell clôt la production. Le compositeur n’aura pas eu beaucoup de place, mais au moins aura-t-il eu le dernier mot…


Alix Le Saux (Didon) et Guillaume Andrieux (Enée) ; © Blandine Soulage

Un tel constat est d’autant plus rageant lorsque l’on constate l’excellence du plateau vocal, à commencer par Alix Le Saux en Didon au chant et à la présence empreints de noblesse, la voix restant équilibrée et précise, de même que le jeu. Guillaume Andrieux est pour sa part un superbe Enée, que l’on entend trop peu malheureusement avec sa voix claire et ronde, et un jeu étonnamment naturel dans cette mise en scène qui lui attribue également le rôle d’une des trois sorcières, le faisant utiliser sa voix de tête. Claron McFadden, dernier rôle lyrique, est une Belinda somme toute à l’aise avec cette partition bien que la projection ne soit pas toujours homogène, tandis que l’implication de la cantatrice, elle, est intacte de bout en bout. Citons ici également la performeuse Erika Stucky qui crée un univers sonore particulier, mais laisse également entendre une belle voix en plus de son monde artistique particulier qui vient, pour le coup, enrichir la production.

Enfin, Pierre Bleuse dirige l’Orchestre de l’Opéra de Lyon avec un bel élan, offrant une lecture de caractère et imprégnée de dramaturgie, et il n’hésite pas à mettre lui-même la main à la patte dans un solo de violon. Les Chœurs, toujours d’un très haut niveau bien que souvent cachés au début de la soirée pour ensuite devoir chanter en restant figés ou allongés, offrent eux aussi une belle prestation.

Une soirée qui a finalement la principale qualité de relativiser la mise en scène de L’Enchanteresse vue la veille qui, après cette « expérience Marton », paraitrait presque limpide et classique !

Elodie Martinez

Didon et Enée, remembered à l'Opéra national de Lyon jusqu'au 30 mars.

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