Chronique d'album : Offenbach Colorature, de Jodie Devos

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Le 11 janvier dernier sortait le premier disque de Jodie Devos chez Alpha Classics (en collaboration avec le Palazetto Bru Zane) qui ouvre avec brio le bicentenaire de la naissance d’Offenbach qu'on fête en 2019. Ainsi que l’indique le titre, Offenbach Colorature, la soprano s’attèle aux côtés de Laurent Campellone et du Münchner Rundfunkorchester à présenter ici certaines des plus belles pages signées par le compositeur pour la voix de colorature et ses acrobaties virtuoses…

Le Palazzetto Bru Zane s'est notamment fixé pour mission de faire redécouvrir des œuvres méconnues, et c'est avec l'une de ces raretés que le disque s'ouvre, Boule de Neige. Son couplet de la dompteuse « Je suis du pays vermeil » inaugure magistralement une écoute qui révèle derechef des accents festifs. Le « Me voilà » de l’air se confond avec une entrée en matière lancée sur les chapeaux de roues par la jeune et talentueuse soprano. L’air de la Corilla, « Les plus beaux vers sont toujours fades », également extrait d’une œuvre peu connue d’Offenbach intitulée Vert-Vert, dévoile un texte particulièrement drôle par son ironie puisque « le personnage se moque effrontément d’un public inculte qu’elle satisfait sans effort par des vocalises excessives » :

« Les plus beaux airs sont toujours fades
Et ne valent pas nos roulades.
Des “ah!”, c’est tout ce qu’il me faut !
Des poètes les plus habiles
Les paroles sont inutiles
Car on n’en comprend pas un mot. »

Toutefois, si Offenbach maîtrise à merveille l’art de la colorature, c’est aussi parce qu’il adapte cette virtuosité aux différents visages qui l’intéressent, afin de développer une « dimension lyrique bien plus complète ». Le livret précise que « lorsque les personnages sont dotés de plusieurs airs, l’un d’eux est forcément de nature moins ébouriffante et travaille le potentiel rêveur, suave et tendre de la voix ». Ainsi, le disque offre une « guirlande d’airs » mais ne se cantonne pas à une seule dimension festive ou virtuose : « La Mort m’apparaît souriante » (Orphée aux Enfers), « Le voilà... c’est bien lui » (Le Roi Carotte), « Voilà toute la ville en fête » (Fantasio) sont autant d'exemples de nuances réunies au sein de l’enregistrement et qui lui insufflent son rythme, tantôt galopant et endiablée, tantôt plus reposé et langoureux.

On constate la même diversité dans l'alternance des extraits méconnus et des morceaux plus classiques, voire incontournables : à Orphée aux Enfers précédemment cité, répondent Mesdames de la Halle ou Les Contes d’Hoffmann. On regrette presque de retrouver ce dernier opéra dans la sélection, presque trop convenu aujourd’hui au milieu de (re)découvertes, quand bien même on envisage mal un disque consacré à Offenbach sans son œuvre maîtresse. Il eut été plus difficile encore de ne pas inclure la chanson d’Olympia dans un disque articulé autour de l’art de la soprano colorature. Jodie Devos profite alors de ce tube pour en faire un véritable feu d’artifices de pyrotechnies vocales, tandis que la Barcarolle ô combien célèbre, « Belle Nuit, ô Nuit d’amour », permet d’entendre Adèle Charvet aux côtés de la soprano. Cette dernière n’est toutefois pas en reste pour ce qui est des graves et des mediums, charnus, lui permettant notamment de se répondre à elle-même dans « Quel bruit et quel tapage » (Mesdames de la Halle) !

Après avoir ouvert le disque en fanfare et nous avoir fait voyager à travers diverses œuvres emblématiques d’Offenbach, Jodie Devos clôt l’enregistrement avec la même énergie et le même enthousiasme présents depuis la première note, qu'elle transmet d'ailleurs à l'auditeur avec une infinie générosité. Si le premier air annonçait sa « venue », le dernier peut être perçu comme une invitation à un périple plus lointain, dans le Voyage dans la Lune. Quant à l’air retenu, l’ariette de Fantasia « Je suis nerveuse », faut-il voir  là l’appréhension de la soprano face à la réception du disque ? Si oui, rassurons-là : sans la moindre hésitation, le disque est une belle réussite, regorgeant d’énergie positive et pétillante que l’on ne se lasse pas d’écouter, servi de bout en bout par une voix superbe mais également par une prononciation travaillée (parfois difficile à maintenir compte-tenu des exigences de la partition) et un sourire qui s'entend à chaque seconde de l’enregistrement. Et c'est là qu'on réalise « à quel point Offenbach maîtrise l’art de la demi-teinte au même niveau que celui du comique ou de la dérision ». Il serait tout aussi injuste d’oublier le travail extraordinaire du Münchner Rundfunkorchester et de Laurent Campellone, grand connaisseur du genre, qui restituent eux aussi toute la joie, les nuances et le caractère festif que l’on associe volontiers à Offenbach. Un bel équilibre entre la mesure, obligatoire à la compréhension musicale, et la démesure, liée aux différents caractères de coloratures pensées par le compositeur. Une belle façon aussi de fêter ce bicentenaire d'Offenbach, y compris dans la tournée qui accompagne la sorite du disque, avec un concert au Théâtre Impérial de Compiègne le 1er février prochain, un autre à l’Auditorium Pollini (à Padoue en Italie) le 14 février, ou encore le 17 juin au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris.

Elodie Martinez

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