Chronique d'album : "Baritenor", de Michael Spyres

Xl_baritenor © DR

Avec son dernier disque chez Erato (Warner Classics), Baritenor, Michael Spyres s’attaque à ce registre particulier aux côtés de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg dirigé par Marko Letonja. En regroupant dix-huit airs et quinze compositeurs s’étendant sur trois siècles d'opéras italiens, français et allemands, l’artiste offre un enregistrement anthologique dans lequel sa voix exceptionnelle enchante et se teinte de mille couleurs, comme peut-être seul Michael Spyres peut le faire aujourd’hui.

Il faut dire qu’il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir faire l’écart entre les registres de ténor et de barytonMais qu’est-ce qu’un baryténor ? C’est justement la question posée dans le livret, et à laquelle le principal intéressé répond en plusieurs pages, expliquant notamment qu’il est « d’avis que le baryténor est un phénomène oublié, qui depuis que l’opéra existe se cache à la vue de tous au sein de différents ouvrages ». Il retrace l’histoire de cette voix ample et malléable depuis le XVIIIe siècle, démontrant qu’il existe une tradition de baryténor dans les partitions qui s’est malheureusement étoilée avec le temps. Le terme convient pourtant fort bien à Michael Spyres, d'abord baryton, ayant souhaité devenir ténor après avoir découvert à 21 ans Chris Merritt et Bruce Ford. Il lui aura « fallu cinq ans, à raison de quatre à six heures de travail quotidien, pour y parvenir », selon ses mots lors d’une interview pour France Musique.

Après des années à chercher sa voix de ténor, il est aujourd’hui l’une des voix les plus saisissantes du moment, capable de graves impressionnants pour un ténor mais aussi d’atteindre des aigus habituellement inaccessibles à un baryton. Difficile dès lors de ne pas être conquis par un disque soulignant l’impressionnant ambitus du chanteur et ses infinies nuances. D’autant que le programme est riche et réjouissant, mais aussi pédagogue. Baritenor s’ouvre ainsi par « Fuor del mar », de l’Idomeneo de Mozart et sa musique vive capte instantanément l’auditeur : Michael Spyres a cette capacité de raconter ce qu’il chante, de transmettre la psychologie et l’histoire de la partition. Le disque poursuit avec un extrait des Noces de Figaro, « Hai gia vinta la causa », plus sombre dans la partition du personnage, tandis que l’air de Don Giovanni « Deh, vieni alla finestra », lui aussi superbement interprété, se révèle charmant et charmeur. Retour au registre de ténor avec « Ô Dieux ! écoutez ma prière » de l’Ariodant de Méhul, enregistré en première mondiale. Il s’agit également de la première incursion de l’artiste dans le registre français qu’il sert à merveille et où il excelle : la diction est superbe. Les élans musicaux sont ici comme des vagues déferlantes et viennent happer l’auditeur, tandis que le cœur est saisi de pitié. Cette perfection de la diction se retrouve dans tout le disque, et notamment dans la version française de Lohengrin et de son « Aux abords lointains ».

Le « Largo al factotum » de Figaro (Le Barbier de Séville) est particulièrement savoureux : jouant avec les multiples couleurs de sa voix, Michael Spyres l’ensoleille, l’assombrit, lui confère une palette chromatique époustouflante, et s’amuse à prendre des voix différentes. Le jeu et l’interprétation transpirent à chaque seconde, pour rendre l'air particulièrement vivant.

L’impression de saisir un tableau en cours d’exécution se retrouve également dans les extraits d’Otello qui permettent d’entendre aussi en second plan le Iago de Sangbae Choï, mais aussi le chœur de l’Opéra national du Rhin, qui intervient à plusieurs reprises dans le disque, comme « Mes amis, écoutez l’histoire » (Le Postillon de Lonjumeau), « Pour mon âme » (qui suit « Ah mes amis, quel jour de fête ! », de La Fille du régiment) ou encore « Va pour Kleinzach ! » (Les Contes d’Hoffmann). À la fois puissant et homogène, le choeur offre ainsi un beau répondant au baryténor, qui poursuit son voyage dans ce large registre. Si l’on apprécie les rôles aujourd’hui traditionnellement proposés aux barytons, le registre de ténor n'est pas en reste avec « Mes amis, écoutez l’histoire » qui déploie des aigus sans cassure entre les graves et les mediums. Quant à la couleur solaire et mordorée de l’extrait de La Fille du régiment, elle gomme l’impression d’effort que l’on ressent parfois dans la montée en force, et elle convoque les souvenirs de certaines des plus grandes voix désormais immortelles.

Son Hoffmann prend une couleur ombragée, noire, et noble, avant que son Lohengrin français ne s’engouffre dans le romantisme wagnérien. La langue allemande est aussi présente avec « O Vaterland du machst bei tag »… « Da geh ich zu Maxim » (La Veuve joyeuse) et clôture le disque avec « Glück, das mir verblieb » (La Ville morte). Là aussi, la voix caméléon de Michael Spyres lui permet de briller et de s’inscrire comme une évidence.

Le livret permet non seulement de découvrir les mots de Michael Spyres, d’en apprendre davantage sur ce qu’est un baryténor et l’histoire de ce type de voix, mais il offre aussi les textes traduits des airs – non pas dans leur ordre d’écoute, mais en les regroupant par langue (à l’exception de « Voilà ce que j’appelle une femme charmante » intercallé entre deux textes allemands, ce qui semble être une erreur). Un système de couleur, à la fois simple et ingénieux, permet par ailleurs d'identifier quels airs relèvent de la tessiture de baryton ou de ténor.

Un mot enfin sur l’Orchestre philharmonique de Strasbourg qui donne le meilleur de lui-même sous la baguette de Marko Letonja, parvenant à suivre toutes les couleurs du soliste. Avec une dextérité sans faille, l’ensemble instrumental propose des nuances tout aussi changeantes que peut l’être la voix de Michael Spyres, et devient un formidable compagnon de jeu pour le baryténor.

A noter qu’un concert « Baritenor » sera notamment donné le 5 novembre 2021 à la salle Érasme du Palais des congrès et de la musique de Strasbourg, puis au Théâtre des Champs-Elysées le 19 mai 2022. De quoi prendre plaisir à (re)découvrir en direct depuis la salle, à la fois ce programme, cette voix et surtout cet artiste  impressionnant.

Elodie Martinez

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