Chronique d'album : "A sa guitare", de Philippe Jaroussky et Thibaut Garcia

Xl_a_sa_guitare_jaroussky_garcia © DR

De plus en plus, les chanteurs lyriques osent s’aventurer hors du cadre strict de la musique classique. Les exemples ne sont pas encore légion, mais on pense par exemple au récent disque de chants de noël de Jonas Kaufmann, It’s Christmas, au très populaire Sicilien de Roberto Alagna, mais aussi à Songplay de Joyce DiDonato ou Enchantée de Marie Oppert. La guitare semble elle aussi prendre place petit à petit aux côtés des chanteurs, et l’on pense par exemple à Liat Cohen et au disque Paris-Madrid enregistré avec trois grands noms lyriques. Dès lors, on s'étonne moins de voir sortir chez Erato le disque A sa guitare, dernier enregistrement en date de Philippe Jaroussky pour la maison de disque, accompagné non pas par un orchestre ou un piano, mais entièrement par le guitariste Thibaut Garcia (Révélation Soliste Instrumental des Victoires de la musique classique 2019).

Plutôt qu’un traditionnel texte introductif, le livret propose un entretien en compagnie des deux artistes, en toute simplicité. On y découvre une présentation vivante, qui offre sans en avoir l’air plusieurs clefs et informations sur le programme du disque. On apprend ainsi comment les œuvres ont été sélectionnées – notamment avec émotion et honnêteté – ou encore que l’idée « d’un voyage inattendu » a été préférée à celle d’une chronologie pour l’agencement et l’ordre des pièces. Ainsi, « la douce Sarabande de Poulenc devient une sorte de berceuse pour l’enfant mort à la fin d’Erlkönig ». Toutefois, si le livret offre bel et bien les textes dans leur langue originale, il n’en propose pas de traductions, ce qui peut rendre ce lien et ces échos peut-être difficile à suivre autrement que par des réponses mélodiques pour le public non polyglotte.

Il faut dire que le voyage proposé ici invite de prime abord à des ports d’escales plutôt éloignés, puisqu’il couvre quatre siècles, allant de la Renaissance à Barbara, entre l'anglais, le français, l'italien et l'allemand. Le premier titre explique celui de l’album puisqu’il s’agit de « A sa guitare » de Poulenc, sublimé par les deux interprètes, tandis que la magie se prolonge avec le « Come again » de Downland. La guitare n’est effectivement pas ici une simple accompagnatrice, mais une seconde voix et occupe tout aussi bien les devants de la scène que le chant. D’ailleurs, la guitare ne chante-t-elle pas elle aussi ? Le son est travaillé avec minutie et l’harmonie entre Thibaut Garcia et Philippe Jaroussky ne flanche à aucun moment. L’instrument semble idéal pour la voix du contre-ténor qui peut ainsi offrir le meilleur d’elle-même sans être menacée par le volume sonore d’un piano ou d’un ensemble. Elle se montre cristalline, légère, voguant au gré du vent que forment les notes nées de l’union des cordes et des mains du guitariste. Son talent se remarque tout particulièrement dans le difficile Erkönig, avec son galop d’ouverture, la multiplication des notes qui se confondent, se séparent, s’allient, s’associent se dissocient.

Notons également l’Abendempfindung de Mozart, un lied assez rare, qui se montre ici sous une forme inhabituelle puisqu’accompagné à la guitare. Philippe Jaroussky confie d’ailleurs « que c’est la première fois (qu’il) enregistre une note de Mozart, en vingt ans de carrière », bien qu’il lui soit arrivé d’interpréter certains de ces airs en concert. L’instrument de Thibaut Garcia lui permet ici « d’alléger ce poids historique et intimidant » en offrant une version particulière qui n’enlève rien à l’appréciation du génie mozartien. Quant au registre plus contemporain de Barbara, représenté avec la chanson « Septembre », il est lui aussi magnifiquement servi grâce aux prononciations des deux artistes : non seulement celle des mots avec le contre-ténor, mais également celle des notes par le musicien.

Finalement, c’est par « Anda, jaleo » de Lorca, qu’on aurait peut-être aimé davantage énergique et entraînant côté voix, et par « Il est quelqu’un sur terre » de Britten que l’écoute se termine. Un choix qui fonctionne, condensant le retour au port de ce long voyage, se clôturant par « Finie est la chanson », englobant ainsi tous les précédents airs en une seule et même chanson, un jeu de cordes entremêlées. Qu’elles soient vocales, ou bien de la guitare, elles se répondent, se portent, se magnifient… et surtout, s’accordent pour nous faire voguer au gré de ce voyage, le temps d'une agréable parenthèse accessible à toutes les oreilles…

Elodie Martinez

A noter que ce disque donne lieu à une tournée sur différentes scènes, dont l'Opéra de Montpellier, le Théâtre des Champs-Elysées ou encore la Halle au Grains de Toulouse.

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading