Rencontre avec Nicolas Cavallier

Xl_cavallier © DR

Entendu dans le rôle de Nilakanta à Marseille ce mois-ci, le baryton-basse français Nicolas Cavallier interprètera celui de Heinrich l’Oiseleur dans une nouvelle production de Lohengrin à l’Opéra de Saint-Etienne en juin. L’occasion pour Opera-Online de le rencontrer pour parler – entre autres choses  de ces deux rôles…                              

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Opera-Online : Vous venez d'interpréter le rôle de Nilakantha dans Lakmé de Léo Delibes à Marseille. Comment l'avez-vous ressenti ?

Nicolas Cavallier : Nilakantha, à mes yeux, est une sorte d'anti-Gandhi, qui aimerait garder sa fille sous cloche, afin de préserver cette image de déesse que l'on prête à Lakmé. Il incarne un mélange d'amour et de violence, patriarche austère qui n'accepte pas les réalités de l'existence et celles des sentiments. Heureusement pour le personnage, il y a cet air d'une douceur absolue (Lakmé, ton doux regard se voile), qui est le moment le plus fort et le plus délicat du rôle, et qui demande une grande maîtrise de souffle et de ligne vocale. Comme souvent dans ce genre de personnage du répertoire français, l'ambitus est sans concession.

Vous vous préparez actuellement à celui de Heinrich l'Oiseleur dans Lohengrin de Richard Wagner. Comment vous sentez-vous au sein de cette production qui sera mise en scène par Louis Désiré à l'Opéra de Saint-Étienne les 9, 11 et 13 juin prochain ?

Henrich L'Oiseleur est un personnage historique, incarnant Justice et Héroïsme. L'étendue vocale est large, avec de la noblesse, du recueillement et de la prière. C’est un très beau rôle à interpréter, beaucoup plus accessible que celui du Hollandais que j'ai eu l'occasion de chanter, un des plus durs du répertoire Wagnérien. Louis Désiré avait une idée très précise de la mise en scène avant les répétitions, ce qui a beaucoup fluidifié notre travail. L’espace dans lequel nous chantons est beau, ondulé, avec quelques éléments de décors qui situent l’action selon les actes. Mais chez Wagner, il faut des voix. Et là, le public sera servi. Il n’y a qu’à entendre le duo d’Elsa et Ortrud (NDLR : Cécile Perrin et Catherine Hunold) pour s’assurer qu’il existe encore en France de belles et grandes voix lyriques. Un beau frisson pour le public hen perspective.

Votre père était comédien et a mis en scène des opéras. Était-ce là le déclic ?

Du fait du métier de mon père, la fréquentation très jeune des plateaux de théâtre et de cinéma m'était familière et fut certainement bénéfique pour moi. Mon fils Lorenzo est rentré au Conservatoire national d'art dramatique et a déjà tourné dans deux films. Nous en sommes donc à la troisième génération… Le goût de la musique m'est venu en Angleterre, lors de mes études, particulièrement le chant choral et la harpe. Aussi, de retour à Paris, j'ai pris des cours de chant. Mais le vrai déclic, comme vous dites, s'est produit lors d'une représentation de Mireille de Gounod, aux Arènes d'Arles, en 1981. Je n'y faisais que de la figuration, mais de voir ces gens tellement heureux de chanter m'a convaincu de me lancer dans cette carrière.

Je sais que vous aimez beaucoup un compositeur comme Benjamin Britten, chez qui musique et théâtre ne font qu'un. Avez-vous des projets en ce sens ?

Effectivement, j'entretiens avec ce compositeur une affinité particulière, peut-être depuis mon séjour en Angleterre. Mon rêve serait d'interpréter un jour le rôle de Claggart dans Billy Budd. C'est une œuvre magistrale, qui nécessite une multitude de chanteurs et qui n'est malheureusement pas si souvent montée. Dans ma carrière, j'ai pu chanter dans Le Viol de Lucrèce à Tours, mais c'est à peu près tout, si ce n'est une production de Billy Budd justement, à Nancy, où j'incarnais le personnage de Flint. Comme vous le disiez justement, Britten est de ces compositeurs qui savent admirablement mêler chant et théâtre. Pour moi, il y a toujours eu deux sortes d’opéras : le belcanto, le chant pur, les Rossini, Bellini, Donizetti et les grands Verdi qui nécessitent seulement des belles voix qui nous transportent, et puis les opéras qui « se jouent », comme The Rake's Progress de Stravinsky et justement les Britten où le jeu est essentiel.

Il me semble que désormais vous maîtrisez parfaitement la technique du chant. Je vous sens plus affranchi sur scène, plus serein, plus libre d'exprimer vos émotions…

Depuis quelques temps, en effet, je ressens une sorte de plénitude vocale, comme si chaque élément de la voix s'était soudainement mis en place. Le travail que j’accomplis depuis quinze ans avec Lionel Sarrazin porte enfin ses fruits. Il nous a fallu à tous deux une bonne dose de patience et d’entêtement. Mais je ne vous cache pas qu’il y a là quelque chose d’assez gratifiant à le constater. Et puis je dois avouer que j’adore ces instants d’apprentissage et cette recherche de « vérité vocale ». J’imagine qu’il en est de même pour chaque artisan qui se respecte. Le temps donne à chacun d'entre eux un savoir : ainsi un simple geste répété apporte une liberté d'expression de plus en plus grande. Dorénavant je m’amuse à aborder par plaisir un répertoire un peu plus osé - comme Tosca ou même Rigoletto - pour constater les limites de ma tessiture.

Comment percevez-vous le monde musical dans lequel vous évoluez ?

Voilà une question épineuse ! Difficile d’y répondre de manière objective, mais ce que l’on peut observer, c’est qu’il existe actuellement et depuis un certain temps – faute à la crise ? - un rétrécissement de l’accueil d’artistes étrangers dans bons nombres de théâtres européens : les italiens chantent en Italie, les espagnols en espagne etc. Pas tout à fait comme aux Etats-Unis, où l'instauration de quotas est d'actualité, mais de manière plus subtile et insidieuse, qui prive certains d'entre nous de ces échanges qui font la beauté et la richesse de notre métier. Cela est regrettable ! Heureusement, la France garde la politique d’ouverture culturelle qu’on lui connait. Les scènes hexagonales ne cessent de présenter des spectacles lyriques d’une grande diversité et cela malgré des subventions toujours à la baisse. Mais là où le bât blesse, c’est qu’il existe en ce moment une situation assez inconfortable pour de nombreux artistes nationaux, car certaines scènes lyriques en France, pour des raisons de goûts artistiques ou simplement économiques, offrent peu de travail à ces derniers. Comment peut-on justifier la présentation d’œuvres françaises avec un minimum de chanteurs francophones dans notre propre pays ? Qu’en est-il de nos écoles de chant ? Beaucoup de questions que l’on est en droit de se poser...  

Interview réalisée par Emmanuel Andrieu en mai 2017

 

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