Rencontre avec Alexandre Duhamel

Xl_duhamel___raphae_l_lugassy © Raphaël Lugassy

Lauréat – dans la catégorie Révélation Lyrique de l'année – des Victoires de la Musique en 2011, Alexandre Duhamel s'est imposé comme l'un des plus authentiques espoirs du chant français, et chante désormais dans les plus grandes maisons et les plus prestigieux festivals européens, comme la Scala de Milan ou le Festival de Glyndebourne. A l'occasion de sa participation à la nouvelle production de Simon Boccanegra à l'Opéra National de Bordeaux (à partir du 24 janvier), nous avons interviewé le jeune baryton français, tout dernièrement formidable Guglielmo (Cosi fan tutteà l'Opéra de Toulon et Grand-Prêtre Dagon (Samson et Dalila) ici-même.

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Comment vous définissez-vous en tant que chanteur ?

Je suis un artisan-baryton ! J'essaie d'éviter un maximum les étiquettes comme baryton lyrique, baryton-basse, baryton dramatique, baryton Verdi... J'aime chanter ce dans quoi je me sens crédible et à l'aise vocalement, scéniquement, musicalement. Après, ma voix est ce qu'elle est, et j'ai de réelles affinités avec le répertoire romantique français ou italien mais je ne change pas ma façon de chanter en fonction des différents univers que j'aborde : je m'efforce juste d'adapter ma technique au style demandé. Je suis très curieux, et j'aime découvrir de nouveaux mondes. J'ai chanté pour la première fois du baroque cette saison à l'Opéra Garnier dans Platée, et j'ai ressenti un immense plaisir, je me suis beaucoup amusé ! Ce que j'aime quand je suis spectateur à l'opéra, c'est oublier la voix ! J'aime quand la voix devient un simple moyen qui permet de nous faire ressentir la force des sentiments du personnage... Ça paraît banal mais ça n'est pas si fréquent je trouve. Et souvent, quand on y arrive, c'est lorsqu'on chante avec sa propre voix, authentique, honnête et qu'on devient un comédien-chanteur. J'essaie de tendre un maximum vers ça.

Vous avez commencé les répétitions de Simon Boccanegra à l'Opéra National de Bordeaux, quels sont vos premiers ressentis vis à vis de cette nouvelle production signée par Catherine Marnas ?

C'est une production très stylisée, et ce sont les termes de Catherine pour la définir. Le plateau est sobre, épuré et il n'y a pas vraiment d'indication temporelle. On est donc loin d'une mise en scène avec costumes d'époque, mais on est également loin d'une mise en scène contemporaine sans queue ni tête... Mais vu la complexité du livret, c'est plutôt heureux, car ce serait très dangereux ! Ce qui frappe le plus, je dirais, est la notion de rêve, dans le temps et dans l'espace, très bien rendue par les lumières et les costumes. Travailler avec Catherine est très intéressant car il s'agit de sa première mise en scène lyrique et elle apporte ainsi un regard nouveau, sans à priori, et nous demande, comme elle a l'habitude de le faire au théâtre, un vrai investissement sans artifice...

Le personnage de Paolo est une prise de rôle, Quand vous en abordez un nouveau, écoutez-vous des enregistrements pour mieux vous l'approprier ? 

Je commence toujours par un travail « à la table » : je lis le livret, fais la traduction des mots qui m’échappent, puis j'apprends de manière très rigoureuse le rythme et les notes sans aucune référence. Je m'empêche dans un premier temps d'écouter trop de versions pour ne pas être influencé vocalement ou musicalement. C'est seulement une fois que je connais bien organiquement le rôle que j'écoute plusieurs versions, d'abord pour m’imprégner du style et des sonorités de l'orchestre, et ensuite bien sûr pour observer comment les différents Paolo que j'écoute abordent les difficultés du rôle. Pour Paolo, j'ai d'abord écouté un italien, Gian Piero Mastromei, puis les sublimes José Van Dam et Alain Fondary.

Qu'avez vous à nous dire sur ce protagoniste dans cet opéra de Verdi ?

Ce personnage est le mal ! Il est rongé par son arrivisme, sa jalousie et sa soif de pouvoir : c'est un pré-Iago. Interpréter ce rôle est vraiment jubilatoire, car il n'est pas fait d'un bloc. Au début, il contrôle les ficelles et organise l’élection de Simon de manière très secrète, puis, lorsque Simon lui refuse Amelia, se font jour sa vraie personnalité, sa colère et sa rage... Il finit - surtout dans cette mise en scène - comme une bête sauvage, dévoré par ses démons et la malédiction de Simon. Et d'un point de vue vocal, c'est le premier rôle verdien que j'aborde, qui demande souplesse, vaillance et surtout une grande palette de couleurs. Un rôle vraiment idéal pour mon âge et mon évolution vocale...

Votre tessiture, en dépit de votre jeune âge, vous destine souvent à des personnages bien plus âgés que vous ne l'êtes... Cela représente t-il un problème ?

Non, je ne pense pas, tant que la voix continue de sonner « jeune ». Et maintenant les maquilleuses font des miracles ! (rires) Cela étant, il m'est très rarement arrivé d'être vieilli, car j'ai pour le moment interprété des rôles pouvant être chantés par quelqu'un de jeune... je pense à des personnages comme Leporello, Guglielmo, Zurga, Valentin ou encore Ramiro (L'Heure espagnole).


Avez-vous déjà eu des propositions que vous avez jugées dangereuses pour votre voix ? N'est-il pas délicat - pour un jeune artiste comme vous l'êtes – de les refuser ?

Oui, ça m'est arrivé, car ma voix est assez noire et vaillante, mais comme m'a dit un jour mon professeur Malcom Walker au CNSM : « Tu peux les chanter maintenant, mais tu n'as pas encore l'endurance et le troisième œil qu'il faut pour interpréter ces rôles lourds, et dans dix ans, on entendra que tu les auras chantés dix ans trop tôt », et il a totalement raison... Je suis d'ailleurs en train de développer peu à peu ce fameux « troisième œil », ce recul si important, cette capacité à ne pas être à cent pour cent tout le temps, et de laisser la voix sonner aussi efficacement, mais avec beaucoup moins d'effort. C'est la clef, et ça demande un vrai mental de sportif. Donc oui, j'ai dû refuser certains rôles, mais ce n'est que partie remise... on n'a qu'une voix et une seule carrière !

Vous adonnez vous - et aimez vous - l'exercice du récital ?

J'ai appris à en avoir moins peur. Au début, me retrouver seul avec un piano face à un public venu pour m'écouter m’intimidait beaucoup. En récital, il est impossible de « se cacher » derrière un costume ou un personnage. Mais peu à peu, j'ai appris à dompter cela, et j'ai eu comme un déclic lorsque j'ai interprété les cycles Don Quichotte de Ravel et Ibert. J'ai pris un tel plaisir à déclamer ces textes magnifiquement mis en musique...  Je le fais donc dès que je peux maintenant, car c'est un exercice différent et important, c'est beaucoup plus intime et cela permet une communication plus directe avec le public.

Pensez-vous que le fait d'être élu Révélation Lyrique de l’année 2011 à l'ADAMI - puis de recevoir le Prix Lyrique de l'AROP peu après - ont eu une incidence significative sur votre carrière ?

Oui c'est possible. Les Victoires de la Musique m'ont offert une certaine exposition. Cela donne confiance et apporte un certain sentiment de légitimité, mais je ne crois pas trop aux carrières qui démarrent très rapidement d'un coup... J'ai vraiment une vision à long terme, et c'est plutôt le travail en profondeur que j'ai pu faire - et que je continue quotidiennement à faire - avec mes professeurs ou mon agent qui selon moi ont une incidence sur ma carrière et son développement. J'ai également eu la chance de rencontrer et de collaborer avec des chefs ou des directeurs qui croient en moi : je pense notamment à M. Minkowski, J-Y Ossonce, R.Duffaut , M. Xiberras, E. Pezzino ou I.Masset qui m'ont offert - et continuent de m'offrir - cette merveilleuse chance de pouvoir me construire sagement et sûrement.

Un artiste, aujourd'hui, utilise souvent les réseaux sociaux pour son image. Quel regard portez-vous sur cet outil de communication ?

J'ai un site internet et une page facebook que j'essaie de mettre à jour le plus possible. Cela permet à mes amis, à ma famille de me suivre, mais je ne suis pas très actif... Lorsque je ne suis pas en train de chanter, de répéter ou d'apprendre un rôle, je préfère consacrer le peu de temps qu'il me reste à jouer avec mon bébé de quatre mois !

Vous êtes très lié à l'opéra National de Paris où vous avez interprété une dizaine de rôles ?

En effet, j'ai une vraie histoire avec l'Opéra de Paris, et je suis très lié à tous ceux qui y travaillent. Je me sens presque en famille lorsque je suis en production là-bas ! (rires) A part deux rôles interprétés au conservatoire, c'est là où j'ai fait mes débuts sur scène, d'abord dans des rôles minuscules (un mot - « Klopchtoooook » - dans Werther), mais qui me permettaient d'admirer d'immenses chanteurs comme Jonas Kaufmann ou Ludovic Tézier puis petit à petit dans des rôles plus intéressants. Je dois donc énormément à l'Atelier Lyrique qui m'a donné cette chance.

Cet été vous ferez vos débuts au prestigieux Festival de Glyndebourne dans La Petite Renarde rusée...

C'est un festival qui me fait rêver depuis longtemps et j'ai entendu tant de bien sur son atmosphère et son ambiance de travail... J'ai hâte !

Quelles sont les œuvres que vous souhaitez ajouter à votre répertoire ou reprendre dans le futur ?

J'ai fait beaucoup de prises de rôles passionnantes ces dernières saisons, comme Guglielmo, Zurga ou Le Grand-Prêtre dans Samson et Dalila... Et j'aurai le bonheur d'en rechanter certains dans les années à venir. Petit à petit, j'aimerais ajouter d'autres rôles comme Marcello, Escamillo, Figaro (des Noces), Posa ou Ford, qui sont des rôles que je travaille souvent, et pour lesquels je commence vraiment à me sentir prêt. C'est donc ma direction, des emplois assez lyriques, Mozart encore et encore, et parfois des rôles plus dramatiques pour préparer doucement l'avenir, car ma voix évolue dans ce sens. Le répertoire allemand me fait également rêver, mais j'ai le temps pour ça, et je vais d'abord commencer par maîtriser davantage la langue... c'est ma bonne résolution pour 2016 ! (rires)

Propos recueillis par Emmanuel Andrieu

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