Portrait : Klaus Florian Vogt dans Fidelio à la Scala

Xl_klaus-florian-vogt © DR

C’est la tradition de la Scala : chaque année le 7 décembre, le jour de la Saint Ambroise, le saint-patron de la ville de Milan, l’établissement italien ouvre sa saison avec une nouvelle production. L’événement se veut l’un des rendez-vous incontournables des mélomanes et fait l’objet chaque année du jugement (sans concession) des gardiens du temple scaligère.
Ce dimanche 7 décembre, la Scala de Milan ouvre donc sa saison et propose Fidelio de Beethoven dans une nouvelle production signée par Deborah Warner, metteure en scène d’opéra au sens aigu de la théâtralité, et dirigée par Daniel Barenboim, qu’on sait fin connaisseur de l’œuvre du compositeur. Sur scène, l’immense Anja Kampe campe le rôle emblématique de Leonore (aux accents quasi-féministes, on le décryptait), aux côtés de l’imposant Klaus Florian Vogt dans le rôle de Florestan. Et le ténor allemand, coqueluche des amateurs d’art lyrique depuis tout juste quelques années, séduit et enthousiasme autant qu’il intrigue, que ce soit par sa personnalité ou son parcours musical peu orthodoxe.

On le sait, Klaus Florian Vogt est venu au chant sur le tard, bien après avoir débuté sa carrière musicale comme corniste dans l’Orchestre philharmonique de Hambourg. Une première expérience qui le confronte déjà à l’opéra (mais depuis la fosse) et lui apprend à mieux appréhender les relations étroites qu’entretiennent l’orchestre et les chanteurs – tout en lui permettant de travailler un souffle puissant, une résistance et une constitution physique hors du commun.
Une première expérience qui l’encourage surtout à sortir de la fosse pour gagner la scène. À vingt-quatre ans, sur le conseil de son épouse soprano et fille de cantatrice, il décide donc de prendre des cours de chant : pendant trois ans, il travaillera avec Günter Binge au Conservatoire de musique de Lübeck, avant de trouver ses premiers engagements à l'Opéra de Flensburg en 1997 – mais pas avant de s’être mis en disponibilité de l’Orchestre philharmonique de Hambourg pour s’assurer un « plan B » en cas de déconvenue. Il n’en aura pas besoin. Rapidement, sa voix puissante est remarquée et l’année suivante, il obtient ses premiers rôles à l’Opéra de Dresde, établissement plus prestigieux qui lui permet surtout de se confronter à quelques grands chefs aux conseils précieux – le ténor dit avoir été marqué notamment par ses rencontres avec Giuseppe Sinopoli ou sir Colin Davis.

Les rôles s’enchaînent et son répertoire d’étoffe : le Narraboth de Salomé, Tamino dans la Flûte Enchantée ou le Matteo d’Arabella, mais aussi déjà le Florestan de Fidelio. C’est dans l’opéra de Beethoven que les amateurs le découvrent dès 2002 à l’Opéra des Flandres, saluant déjà la puissance de sa voix en plus de son talent d’acteur. Il reprendra le rôle à Anvers, Hong-Kong et Cologne, ou encore en ouverture de la saison 2007 / 2008 de l’Opéra de Los Angeles, déjà aux côtés d’Anja Kampe dans le rôle-titre. Mais Klaus Florian Vogt marque surtout les esprits dans le répertoire wagnérien. L’évidence viendra de Lohengrin (interprété d’abord à Ehrfurt, puis à Dresde, Madrid ou Amsterdam, Vienne ou Berlin et jusqu’au Met de New York en 2006), avant d’endosser les rôles de Parsifal, d’Erik du Vaisseau fantôme, de Loge dans l'Or du Rhin ou de Walther von Stolzing dans les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, notamment à Bayreuth en 2007.

Le ténor allemand impressionne. Il affiche une étonnante facilité vocale et une endurance qui souffle. Il impose sur scène un charisme qui séduit le public (et en joue notamment durant ses récitals). Il semble être fait pour ce type de rôles, il a la voix, claire et limpide, et le physique : grand, blond, à la stature imposante (qui pousse à le comparer, voire à l’opposer à son Nemesis wagnérien, Jonas Kaufmann, tant l’un est ténébreux quand l’autre cultive un physique d’archange). Klaus Florian Vogt a l’apparence du parfait héros wagnérien – qu’il entretien tout en acceptant la reconnaissance du public humblement (« rien n'est possible sans travail et répétitions »).
Il est sportif, aime la nature et ses montagnes natales, et refuse de sacrifier sa famille à son métier (son épouse et ses quatre enfants, dont certains embrassent déjà une carrière scénique, voire lyrique). L’anecdote est connue, mais sans doute significative de l’état d’esprit du ténor : il voyage en mobile-home. Il est « en déplacement 200 jours par an et n’aime pas l’hôtel ». Il se déplace donc « avec sa maison » dans presque toutes les grandes capitales lyriques (seule exception, il a dû y renoncer pour ses engagements au Metropolitan de New York : la traversée de l’Atlantique de son mobile-home de quelque huit mètres de long s’avérait trop onéreuse). Il apprécie « de dormir dans [s]on lit », de se faire lui-même à manger (sainement), et d’avoir une partie de sa bibliothèque et son équipement sportif avec lui (il profitait de son engagement au Grand Théâtre de Genève pour aller skier entre les répétitions).

Vie d’ascète et physique d’ange. Faut-il alors voir dans le ténor allemand un interprète sans aspérités, voire (un peu trop) lisse ? C’est ce que d’aucuns lui reprochent. Passée la surprise de ses étonnantes facilités vocales et sa puissance infatigable, son timbre blanc serait susceptible de lasser. On sera néanmoins curieux de l’entendre ouvrir la nouvelle saison de la Scala, a fortiori dans Fidelio. Car si la fougue de Klaus Florian Vogt peut dénoter avec l’histoire de Florestan (emprisonné et maltraité par l’infâme don Pizarro, avant d’être sauvé par son épouse Leonore jusqu’alors travestie en Fidelio), la passion qu’il insufle à ses interprétations fera immanquablement écho aux valeurs universelles de liberté, de fidélité, d’idéalisme et de justice défendues par Beethoven dans son unique opéra.
 

Fidelio au Teatro alla Scala (du 7 décembre au 23 décembre 2014)
Retransmis en direct, sur Arte le 7 décembre.

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